Isabelle Guillaume, Minalogic – Un Ingénieur en harmonie avec le monde
Après une trentaine d’années chez Schneider Electric où elle assuma nombre de postes à responsabilités, elle change de cap managérial pour prendre les fonctions de Déléguée Générale de Minalogic à Grenoble. Considéré comme l’un des pôles d’activité français parmi les plus en pointe de la recherche et de l’innovation, Minalogic lui offre l’opportunité d’exploiter, entre autres, son expérience internationale. Un parcours sans faute qui place aujourd’hui Isabelle Guillaume parmi les femmes d’influence d’envergure mondiale. Discrètement, elle est donc une remarquable ambassadrice du savoir-faire de la haute technologie made in France. Par les temps qui courent c’est heureux ! Quel plaisir de rencontrer Isabelle Guillaume dont nous vous laissons découvrir ici toutes les facettes et les cordes de son violoncelle.
Entretien avec Isabelle Guillaume, Déléguée Générale de Minalogic
GPO Magazine : Quels sont, d’après vous, les principaux critères de réussite pour un dirigeant ?
Isabelle Guillaume : Ils sont nombreux, mais j’en distingue trois majeurs. D’abord sa capacité managériale ; il doit être capable « d’entraîner la maison », de diriger une équipe. Ensuite, sa vision stratégique ; quand on est entrepreneur et dirigeant, on doit être « inspiré », inspiring comme le disent les Anglo-Saxons. Sans cette inspiration il est très difficile, voire illusoire, d’avoir une authentique vision. Enfin, sa capacité à communiquer pour transmettre ses idées. En étant à l’aise sur ce terrain, le dirigeant sait interagir avec de nombreuses personnes et ce, tant en interne qu’en externe.
GPO Magazine : Mais en termes de caractère, voyez-vous des qualités indispensables ?
I. G. : Il est difficile d’être entrepreneur et dirigeant sans manifester une certaine dose d’optimisme. Moi, ma nature me porte à toujours voir un verre à moitié plein et non à moitié vide, ce qui ramène d’ailleurs au concept de « inspiring ». Il faut aussi être tenace – je dis tenace et non têtu –, car cela équivaudrait à une capacité d’écoute réduite. Être tenace en demeurant à l’écoute n’est pas toujours facile mais c’est très important.
GPO Magazine : Les gènes de l’entrepreneuriat et du management sont-ils innés ou acquis ?
I. G. : Difficile de répondre à cette question. Il y a assurément des personnes qui ne seront jamais à l’aise dans la peau d’un entrepreneur ou dans une fonction de direction générale. Cependant, j’estime que la carrière professionnelle développe des capacités qui ne sont pas génétiques. Quand on rentre dans une carrière, on ne rentre pas nécessairement avec l’idée qu’on va devenir un jour directeur général. Durant son parcours, on est amené à prendre un certain nombre de responsabilités et, progressivement, on acquiert des capacités qui ne s’étaient pas révélées auparavant. Alors inné ou acquis ?… Pour être un bon entrepreneur et un bon dirigeant je pense qu’il faut un peu des deux. Il est certain qu’on ne peut pas réunir toutes les conditions qui génèrent la certitude de réussir. À un moment donné, il faut plonger et prendre des risques. Manager sa propre entreprise ou prendre un nouveau job dans un grand groupe, dans les deux cas cela suppose toujours une certaine dose de risque.
GPO Magazine : Trente ans chez Schneider Electric, aujourd’hui Déléguée générale du Pôle Minalogic, vous êtes passée d’une certaine façon du privé au public. Pourquoi ?
I. G. : Plusieurs leviers m’ont amenée à postuler pour ce poste. Durant ma carrière dans un grand groupe de technologies, bien qu’ingénieur de formation, j’ai dès le départ et très souvent, assumé des fonctions plutôt commerce et marketing. Mais je suis toujours restée par nature très proche de la R&D : réseaux de communication, bâtiment intelligent, domotique…l’innovation pour le coup est dans mes gènes.
Ensuite, j’ai eu la chance de prendre la direction générale d’une start up, un joint venture entre Schneider Electric et Thomson Multimédia sur la technologie permettant de faire passer des informations dans les fils électriques, autrement dit les courants porteurs. Cette expérience m’a fait connaître et bien comprendre ce que vivent aujourd’hui les dirigeants des PME et TPE, membres du Pôle Minalogic.
Enfin, j’avais envie de rendre à la communauté ce qu’elle m’avait apporté, en donnant un nouveau sens à ma démarche collective et humaine. Être au service d’une collectivité et travailler à la compétitivité des entreprises grâce à l’innovation, c’est pour moi un challenge et un accomplissement valorisants.
GPO Magazine : Expliquez-nous ce qu’est un pôle de compétitivité, en l’occurrence Minalogic ?
I. G. : C’est un organisme de développement économique au service du développement des entreprises par l’innovation. Notre grande mission est de favoriser l’émergence de nouvelles idées.
L’essentiel de notre rôle est tourné vers la mise en relation des PME et TPE innovantes avec les grands groupes et les laboratoires de recherche. Nous faisons donc beaucoup de networking. Cette stratégie nous amène, par exemple, à organiser des journées Open Innovation pour accélérer les contacts entre grands et petits, ou encore à récemment créer le Club Dirigeants pour qu’ils se rencontrent et échangent leurs expériences. Nous n’oublions jamais que le dirigeant de PME ou de TPE est souvent seul. En rencontrant ses pairs il s’aperçoit qu’il affronte les mêmes problèmes que les autres. Ces entretiens sont très utiles, ils l’aident à mieux réfléchir. Je dis toujours que je suis un « agitateur » de l’écosystème. Un pôle ne crée rien en tant que tel. Il met ses entreprises membres en condition de trouver l’idée improbable, elle-même fruit de rencontres improbables ou difficiles entre les grands groupes et les petites structures.
GPO Magazine : Très bien, mais encore ?
I. G. : Minalogic aide le porteur de projet, lui permet de le faire mûrir vers l’excellence en accumulant les facteurs clés du succès. Nous le challengeons. Nous avons d’ailleurs une démarche spécifique PME car nous devons absolument éviter que son dirigeant ne s’engage en R&D sur une idée d’innovation en négligeant le fait que le process va durer longtemps, deux ou trois ans souvent. Nous nous assurons également que son idée corresponde bien au cœur de sa stratégie. On est là pour l’aider à réfléchir, pour lui fournir des effets miroirs. On vérifie par exemple qu’une idée géniale n’existe pas déjà à l’autre bout du monde. On épaule le porteur afin qu’il soit bon dans tous les registres, y compris sur les aspects concrets et futurs des marchés potentiels en termes de business.
Nous gérons tout le processus de maturation du projet, de la première audition et défense du projet auprès de nos panels d’experts, jusqu’à la délivrance du Label Minalogic, seul sésame d’accès possible au financement public.
GPO Magazine : Quels sont les résultats ?
I. G. : Sur les dossiers labellisés Minalogic présentés au Comité ad hoc du Ministère de l’Industrie, notre taux de succès est supérieur à 50 %. Depuis sa création, Minalogic a permis de mobiliser 250 M€ par an d’investissements R&D. Sur ces 250 M€, 100 proviennent du financement public. Autrement dit, quand l’État met 1, les autres divers investissements privés sont de 1,5. On le constate, l’effet de levier est important. L’État est donc à la fois un accélérateur de projets et un réducteur de risques pour l’entrepreneur innovant. Je dois signaler que la Banque publique d’investissement (Bpifrance) est souvent impliquée dans les financements qui ne proviennent pas d’une subvention d’État. Elle regarde donc les bilans, les comptes de l’entreprise, ses fonds propres qui doivent être au moins égaux à la subvention de l’État. Lorsque le projet n’est pas retenu pour bénéficier des fonds publics, nous n’abandonnons pas pour autant le porteur et son entreprise. Nous lui conseillons d’autres solutions, y compris par exemple un contact direct avec la BPI.
GPO Magazine : Mesurez-vous les résultats en termes concrets de business ?
I. G. : Absolument. Mais on ne peut mesurer précisément que les résultats sur les projets terminés. En dix ans, les 40 projets terminés labellisés Minalogic qui avaient fait l’objet d’environ 300 M€ en R&D, devraient générer un chiffre d’affaires sur 10 ans proche de 3 milliards, soit un facteur de l’ordre de 10.
GPO Magazine : Grenoble, depuis longtemps ville orientée sur les technologies, constitue-t-elle un atout supplémentaire pour le succès de Minalogic ?
I. G. : Grenoble et sa région constituent un atout exceptionnel ! Je vais vous donner une information surprenante. Le magazine Forbes a classé Grenoble à la 5e place des villes les plus inventives du monde. Sur les mêmes critères, Boston, où j’étais récemment en mission pour le Pôle, est classée 7e. Nous sommes donc perçus comme particulièrement compétitifs au plan mondial et nous n’avons rien à envier à d’autres clusters étrangers, Silicon Valley incluse. En matière de R&D et de capacité d’innovations, nous pouvons rivaliser avec des pays tels que l’Inde ou la Chine. Certes, il faut rester humble mais c’est un fait qui démontre que le concept de pôle à la française fonctionne bien. En Allemagne par exemple, ce concept n’existe pratiquement pas, mais la raison est simple et connue : le travail collaboratif entre grands groupes et petites entreprises est dans leurs gènes.
GPO Magazine : Parlons maintenant un peu de vous. Minalogic est un aboutissement personnel ?
I. G. : Nous verrons bien mais vous savez, c’est mon 14e job. J’aime le mouvement, j’aime aider au développement des personnes, j’aime exploiter les ressources, j’aime le collectif… Minalogic m’apporte tout cela. Par ailleurs, l’un de mes objectifs étant le développement du Pôle à l’étranger, mon expérience internationale est cruciale. Une longue mission m’attend. En poste depuis seulement six mois, j’ai du pain sur la planche (sourire : ndlr).
GPO Magazine : Que ne supportez-vous pas au quotidien ?
I. G. : Je crois pouvoir supporter beaucoup de choses, mais je préfère plutôt vous dire ce que j’apprécie. J’aime le travail en équipe, l’ouverture d’esprit et l’engagement.
GPO Magazine : Aimez-vous que vos collaborateurs vous aiment ?
I. G. : Pas en ces termes là, mais qui n’aime pas être apprécié ? Lors de mon premier entretien annuel avec chacun d’entre-eux, je leur ai posé la question suivante : qu’appréciez-vous chez moi ? Ils ont répondu : mes capacités managériales, mes facultés de prise de décision et ma capacité à délivrer une vision. J’en resterai là, mais c’est déjà pas mal, non ?
GPO Magazine : Lorsque vous avez une baisse de moral, vous refugiez-vous dans un jardin secret ?
I. G. : Non, pas de jardin secret ! Ma vie et mon équilibre reposent sur trois piliers : ma famille, mon job et la musique. Nos trois enfants sont maintenant grands mais ils ont toujours occupé une place importante, mon job me passionne et la musique est mon oxygène vital.
GPO Magazine : La musique ?
I. G. : Oui, à deux niveaux. Je suis violoncelliste dans un quatuor qui donne régulièrement des concerts de musique de chambre et je suis, par ailleurs, chef de chœur. Cette passion de la musique est née très tôt. Si mes parents étaient eux-mêmes musiciens, j’ai eu aussi la chance de faire mes études de la primaire jusqu’à la 3e dans les classes aménagées du Conservatoire, équivalent musical des lycées sport-études. Malgré la densité de mon parcours professionnel, je n’ai jamais arrêté la musique. C’est essentiel.
Vous savez, la direction d’une chorale offre des analogies frappantes avec mon métier et ma façon d’aborder les problèmes professionnels et le management. J’arrive à obtenir beaucoup par le dialogue et la douceur. Échanger, parler, comprendre prennent du temps, beaucoup de temps parfois, mais c’est nécessaire pour l’harmonie de tout collectif que l’on dirige.
Ayant été moi-même membre d’une chorale durant de nombreuses années, j’ai connu des chefs de chœur qui râlaient souvent ! Ils n’émettent pas d’ondes positives. C’est peu efficace. Dans une chorale comme dans l’entreprise, il faut savoir motiver les personnes. Ce sont elles qui déterminent la force du groupe !
GPO Magazine : La musique adoucit les mœurs….
I. G. : Oui assurément. Plus sérieusement, je crois profondément au respect des valeurs humaines, au fait qu’on puisse faire de grandes choses avec les bons réflexes managériaux, avec la volonté constante de communiquer. Je crois à la puissance d’entraînement du dirigeant, à son enthousiasme et à son optimisme. Partager la vision d’une œuvre musicale comme celle d’un projet innovant est la condition première du succès et de l’harmonie du collectif.
GPO Magazine : Une conclusion ?
I. G. : Je n’oublie jamais que la meilleure façon d’épauler nos PME, c’est de les aider à recevoir des commandes. Aujourd’hui et demain.
Propos recueillis en entretien par Philippe DERMAGNE
Minalogic en bref Date de création : 2005 *ROI : Retour sur investissement |