L’intelligence de situation

Qui d’entre nous n’a jamais été atterré en devenant le témoin de tout ce qu’il ne fallait pas faire ? Inversement, qui n’a jamais été admiratif, voire envieux, en entendant un bon mot, en assistant à une action d’éclat ou en voyant prendre en un instant une décision importante aux conséquences heureuses ?

Soyons honnêtes, le plus souvent c’est après coup que survient une désagréable pensée du genre : « j’aurais dû dire, j’aurais pu faire, je n’aurais pas dû, etc. ».

Ceux que nous admirons en pareilles circonstances ont, à l’évidence, des réflexes, de la répartie, de l’intuition. Mais si cela suffit en certaines occasions, ces quelques aptitudes demeurent aléatoires en l’absence d’une indispensable capacité : l’intelligence de situation. Laquelle constitue un sujet à part entière et mériterait une étude approfondie.

Mais, pour rester succinct, qu’est-ce que c’est, comment s’en doter et comment la mettre en œuvre ?

L’intelligence de situation : de quoi s’agit-il ?

L’intelligence de situation, c’est à la fois quelque chose de simple, mais aussi d’un peu compliqué.

Simple, semble-t-il, si l’on retient la définition que propose David Autissier1 : « L’intelligence de situation est la capacité pour un individu de comprendre les enjeux et les personnes dans le cadre d’un échange avec la volonté d’obtenir un résultat en profitant des opportunités et des possibilités ».

Compliqué, cependant, lorsque l’on réalise qu’il existe un nombre infini de situations, lesquelles impliquent un nombre variable d’individus et présentent de multiples paramètres. Sans compter que ladite intelligence peut être tantôt individuelle, tantôt collective.

La bonne nouvelle est qu’au-delà de quelques dons ou savoir-faire plus ou moins naturels, il est tout à fait possible d’acquérir et de renforcer un tel talent. La moins bonne nouvelle est que, pour ce faire, il faut travailler. La mauvaise, pour certains, est que cela ne s’arrête jamais, car l’imprévu et l’incertitude s’invitent régulièrement2.

L’intelligence de situation : du besoin à la construction continue

Mais pour l’acquérir et la cultiver, quelles actions entreprendre ? Et bien, cela dépend, mais le processus ne varie pas. Comme écrit ci-dessus, le nombre de situations possibles est impossible à apprécier. Sans compter qu’il en existe différentes formes et de tous niveaux.

Comme il difficile, pour ne pas dire impossible, d’être bon partout, la première étape consiste donc naturellement à définir le cadre de ses ambitions : prononcer quelques saillies pour briller en société (réflexe), ou bien être capable, à chaud, d’éviter qu’une situation dégénère (connaissance et réactivité), ou encore acquérir une vision stratégique permettant de prendre, sous pression, les décisions opportunes (maîtrise de son sujet, vision globale), etc. ?

L’étape suivante s’appuie sur un véritable travail de fond : il s’agit de creuser le sujet en fonction de ses objectifs. Le général de Gaulle estimait que la culture était indispensable à tout officier ; longue est la route. Le général Patton, pour sa part, se passionnait sur le combat d’importantes formations militaires ; il s’est donc investi dans l’étude des batailles historiques (en tout temps et en tous lieux) pour en extraire les données utiles à l’anticipation et l’élaboration de plans de bataille – et a grandement exploité ses connaissances pendant la Seconde Guerre mondiale3. Dans un autre registre, un sportif de haut niveau développera des capacités spécifiques comme, par exemple, les réflexes appropriés à sa discipline.

La troisième étape nécessite de sauter le pas et de se risquer à sortir de la zone de confort que constitue la seule théorie : il s’agit désormais de pratiquer et d’accepter de prendre des coups. Notons ici que si cette phase peut, au début, s’avérer désagréable, elle est tout autant à même de procurer rapidement quelques satisfactions. En effet, l’attitude de ses interlocuteurs est susceptible d’évoluer favorablement dès lors que ceux-ci seront persuadés de l’honnêteté et de la pertinence de la démarche.

La quatrième étape, enfin, consiste à analyser le travail accompli, à en mesurer les effets et à en tirer les enseignements indispensables pour continuer de progresser. Il s’agit là d’un véritable travail de retour d’expérience (RETEX), processus global et permanent s’il en est4.

Remarque : David Autissier a mis en évidence « 5 points à cultiver » : l’introspection, la compréhension, l’interaction, la réalisation et la capitalisation. Classement qui ne me semble pas contradictoire avec ce qui précède.

L’intelligence de situation : vers une indispensable maîtrise du temps

Venons-en à la mise en œuvre. Celle-ci a, certes, débuté lors de la phase précédente. Mais il est temps de dépasser le stade expérimental. À cet effet, il est indispensable de maîtriser et d’appliquer une règle élémentaire : savoir prendre le temps. Or, cette règle est plus que jamais mise à mal à l’ère de l’immédiateté.

Olivier DouinRevenons plutôt à quelques sages dictons.

« Dans le doute, abstiens-toi » :
• certes, si l’objectif consiste à prononcer le mot juste, cela semble contradictoire. Mais tant que son art reste incertain, il est peut-être préférable de s’abstenir plutôt que de se ramasser
• lors d’échanges plus poussés, il sera utile de s’interroger sur sa connaissance du sujet avant que de formuler un avis par trop définitif, potentiellement inapproprié ou réducteur
• et de se souvenir qu’il existe souvent plusieurs chemins pour parvenir à destination.

« Il faut tourner sa langue 7 fois dans sa bouche avant de parler ». De la même manière, il serait bon :
• de tourner ses mains 7 fois au-dessus de son clavier avant de réagir à un SMS, un courriel, un post et toute cette sorte de choses (y a-t-il urgence, la maison brûle-t-elle ?)
• de s’assurer d’avoir bien compris – donc écouté (ou lu) attentivement – ce que son interlocuteur avait à dire (évitant ainsi incompréhension ou malentendu)
• de mesurer la portée et les conséquences de sa réaction avant de l’exprimer (attention au conflit).

« Il ne faut pas confondre vitesse et précipitation ». Car, en plus de ce qui précède :
• il est souvent préférable de conserver son énergie pour les « combats » qui en valent la peine
• il est impératif d’avoir pris en compte l’ensemble des facteurs avant de décider
• il est plus efficace « d’attendre que son adversaire ait abattu son atout maître avant de dévoiler le sien »5

Au bilan, s’il est aisé de disserter sur l’intelligence de situation, il est plus délicat de la mettre en œuvre. Cependant, cette pratique qui requiert adaptabilité, réactivité, anticipation, réflexivité et esprit d’à-propos peut être grandement facilitée dès lors qu’elle est en phase avec une véritable intelligence comportementale. Laquelle s’appuie sur une authentique considération du facteur humain.

Par Olivier Douin, Président de « Olivier Douin Conseil » (ODC)

1 David Autissier, « L’intelligence de situation ; savoir exploiter toutes les situations », 2009
2 Confer, si besoin était, la pandémie liée à la COVID-19
3 Marin Blumenson, « Patton », 1993
4 Sur le RETEX en général et la formation des managers au retour d’expérience en particulier : AIMS RETEX Douin Junghans Lepinard
5 Formule empruntée à Madeline Elizabeth Sloane, dans le film « Miss Sloane », 2016

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