Financement de la décarbonation : le défi d’investissement dans les infrastructures de recharge électrique
Le transport routier reste une cible privilégiée de la décarbonation dans le monde, puisqu’il consomme près de la moitié de la production totale de pétrole. Afin de réduire cette empreinte carbone, les véhicules électriques (VE) et hybrides ont déjà été introduits pour le transport de marchandises, le transport commercial et les transports en commun.
Alors que la pénétration des VE sur l’ensemble du marché automobile était encore relativement faible il y a deux ou trois ans, la situation a radicalement changé.
Les incitations gouvernementales, les objectifs climatiques obligatoires et l’évolution fondamentale de l’état d’esprit des consommateurs concernant la réduction de l’empreinte carbone personnelle ont tous contribué à accélérer l’adoption de VE. 10,5 millions de nouveaux véhicules électriques et hybrides ont été livrés en 2022, soit une augmentation de 55 % par rapport à l’année précédente.
Depuis fin 2023, la vente des véhicules électriques a ralenti en Europe, principalement à cause de leur coût élevé. Le think tank Transport & Environment (T&E) souligne que les constructeurs automobiles privilégient les véhicules électriques plus gros et haut de gamme, plus rentables, au détriment des modèles grand public abordables.
Toutefois, T&E estime qu’en moyenne, les ventes de VE auront atteint 24 % du marché en 2025, comparé à 15 % en 2023, afin de réaliser les objectifs en matière d’émissions de l’Union européenne. Pendant ce temps, en France, où près de 20 % des nouvelles voitures sont électriques, le secteur automobile vise à multiplier par 4 les ventes de VE d’ici 2027 (à compter de 200 000 ventes en 2022) et à produire deux millions de véhicules électriques ou hybrides d’ici la fin de la décennie.
Chargement des véhicules électriques : comment suivre le rythme des ventes ?
La croissance rapide des ventes de VE nécessite un développement de l’infrastructure nationale de recharge, avec un accent particulier sur la disponibilité rapide de chargeurs publics, si l’on souhaite égaler les capacités actuelles des stations de carburant fossile. Si les subtilités de la recharge et de l’échange d’énergie entre les IRVE (Infrastructure de recharge de véhicule électrique), les lieux de travail, les habitations et même à partir du surplus de véhicules (vehicle-to-grid ou V2G) posent également problème, la question la plus fondamentale est celle de l’adéquation entre le rythme des ventes de VE et celui de l’installation rapide de chargeurs d’IRVE.
Il existe de nombreux types d’organisations potentiellement impliquées dans la croissance du réseau de bornes de recharge : les compagnies de carburant , les services et le secteur publics, et les entreprises possédant un campus où des installations de recharge doivent être proposées aux employés. Les hôtels, les parkings, les locaux des entreprises, les stations-service, les lampadaires, les campus universitaires, les centres commerciaux et les supermarchés proposent de plus en plus souvent des points de recharge.
Cependant, la hausse des ventes de véhicules électriques ne s’accompagne pas d’une augmentation proportionnelle de l’infrastructure de recharge publique. En France, par exemple, la proportion de bornes de recharge publiques pour VE comparée au parc de véhicules électrique n’est que de 4,6% (2023). Pour commencer à pallier cette pénurie, l’accord entre le gouvernement et l’industrie prévoit l’installation de 400 000 bornes de recharge d’ici 2030 et 25 000 bornes de recharge rapide, d’ici fin 2027, le long des principaux axes routiers et dans les grandes villes.
Investir dans les IRVE
Un défi majeur pour l’accélération du déploiement du réseau de recharge des VE est que cela nécessite des niveaux très élevés d’investissement. L’étude précédente réalisée par Siemens Financial Services, intitulée « Financement de la décarbonation : le défi d’investissement dans les infrastructures de recharge électrique » (2023), a estimé qu’il existait un « déficit » de 104 milliards d’euros pour le développement mondial des infrastructures de recharge des VE pour la seule période 2023-25.
Ce « déficit » représente les infrastructures de recharge des VE qui n’ont pas encore été acquises au moyen d’un financement sur-mesure par des tiers, c’est-à-dire qui sont encore financées sur CAPEX (dépenses en capital).
Les CAPEX peuvent s’avérer inefficaces dans la mesure où elles immobilisent le capital d’une organisation dans des actifs amortissables et le rendent indisponible pour d’autres besoins. L’acquisition d’infrastructures de recharge pour VE à l’aide de techniques de financement adaptées permet de mobiliser des capitaux tiers et de réserver des fonds précieux pour des besoins plus immédiats.
L’idée de financer ces sommes à partir des fonds publics, ou de les geler dans les comptes des entreprises, est (pour la plupart) tout simplement insoutenable. De nombreux analystes ont fait remarquer cette situation dans le monde entier. De même, nombreux sont ceux qui ont souligné le rôle essentiel que joue, et que doit jouer, le financement du secteur privé dans la mise en place du réseau de recharge des véhicules électriques.
L’intérêt des options de financement
Les unités de recharge des VE sont particulièrement appropriées pour les nouveaux modèles de financement du secteur privé basés sur l’utilisation, la performance et les résultats. En effet, les unités de recharge génèrent un flux de revenus potentiels au fil du temps qui peut être exploité pour payer le coût actuel de l’investissement. Le fournisseur de l’installation peut alors effectuer une série de paiements réguliers qui peuvent être alignés de manière flexible avec le flux de revenus attendus des unités de recharge.
Ces modèles de financement vont des accords de crédit-bail, qui permettent de gérer les flux de trésorerie, à des accords plus complexes basés sur l’utilisation, qui permettent des méthodes d’accès à la technologie de chargement électronique « X-as-a-service ».
Il est donc essentiel de disposer d’outils de financement sur-mesure, capables de s’adapter au flux de trésorerie généré par les bornes de recharge, ce qui, dans certains cas, permet de neutraliser le budget de l’investissement. Une telle flexibilité n’est normalement pas disponible auprès des financiers généralistes, car elle nécessite une connaissance spécialisée des technologies concernées et une expérience des avantages qu’elles procurent dans des situations réelles. De cette façon, le financier peut offrir une certaine flexibilité tout en utilisant sa compréhension approfondie pour atténuer les risques.
Les accords de financement conclus avec un partenaire financier expert permettent aux fournisseurs de technologies de rendre l’investissement en capital rapide abordable et de faciliter la trésorerie pour les organisations des secteurs public et privé qui souhaitent investir dans les points de charge des VE et d’autres technologies qui soutiennent les ambitions de durabilité. En effet, des preuves anecdotiques suggèrent que la disponibilité d’options de financement peut souvent faire basculer les décisions d’investissement en la faveur d’un fournisseur de technologie et non des concurrents n’offrant pas ces options. En supprimant le besoin de dépenses d’investissement, la finance permet d’affecter les rares capitaux publics et privés à des investissements qui ne génèrent pas un flux de trésorerie aussi immédiat et tangible.
Conclusion
La croissance rapide prévue du nombre de véhicules électriques dans le monde – un facteur important pour atteindre les objectifs en matière de changement climatique et de durabilité – ne se produira pas si l’infrastructure de recharge électrique ne se développe pas au même rythme.
Des financements sur-mesure du secteur privé (provenant de financiers spécialisés dans la technologie) sont déployés pour aligner les coûts d’investissement sur les flux de trésorerie générés par les bornes de recharge, ce qui rend le budget d’investissement neutre. L’adoption de ces options de financement déterminera le taux de déploiement des infrastructures de recharge des VE et jouera un rôle déterminant dans le développement du marché des VE dans son ensemble.
Par Zakaria Jghab, Président de Siemens Financial Services France