Infobésité au travail : et si le problème venait d’en haut ?

L’infobésité – volume d’informations trop important à traiter au regard des capacités cognitives d’un individu et du temps dont il dispose – pèse sur la performance et la qualité de vie au travail. Pourtant, ce n’est pas une responsabilité individuelle, mais le reflet d’une culture managériale et organisationnelle. Face à ce défi, les dirigeants et managers ont un rôle clé à jouer.
Suzy Canivenc, Directrice scientifique de Mailoop et Docteure en Sciences de l’information et de la communication et Arthur Vinson, CEO de Mailoop et co-président de l’OICN, nous éclairent sur le sujet et donnent leurs conseils pour améliorer notre utilisation du numérique.
Agir, c’est d’abord comprendre les mécanismes sous-jacents
Le mésusage des outils numériques traduit souvent une culture organisationnelle et managériale défaillante. En voici 5 exemples :
- L’usage excessif des mises en copie cache un manque de confiance et une culture de centralisation ou de protection (phénomène du « mail parapluie »).
- Le sur-stockage de l’information (échanges archivés sans tri) révèle une culture de la méfiance et du besoin de preuve.
- La surabondance de messages numériques et de réunions est souvent une stratégie de « visibilité », visant à montrer son engagement.
- La reconnexion en dehors des horaires de travail est perçue comme une preuve de professionnalisme attendu.
- La faible adoption des outils collaboratifs comme Teams peut traduire une crainte de perte de contrôle de la part des managers et dirigeants.
« En se focalisant sur la responsabilité individuelle, on cherche à guérir les symptômes au lieu de traiter la maladie, dont les racines viennent d’en haut. Les managers et dirigeants ont clairement un devoir d’exemplarité. Agir sur l’infobésité, c’est en comprendre les mécanismes sous-jacents pour questionner le rôle, la culture et la posture managériale, afin de définir une nouvelle façon d’incarner un modèle de référence », explique Suzy Canivenc.
Dirigeants et managers : premières victimes, premiers coupables
Ces chiffres tirés de l’édition 2024 du référentiel de l’OICN, montrent clairement que les dirigeants et managers occupent les fonctions les plus exposées à l’infobésité. Mais ils sont également ceux qui génèrent le plus de surcharge informationnelle.
En effet, leurs comportements influencent l’ensemble de l’organisation :
- Leurs pratiques communicationnelles sont imitées et deviennent des normes organisationnelles implicites.
- Leur poids hiérarchique peut être facilitant (réactivité, échanges plus fluides…) mais tout aussi aggravant (plus de stress, réponses en dehors des horaires de travail…).
Si les managers doivent être exemplaires, ce n’est cependant pas à eux de définir les bonnes pratiques communicationnelles de leurs équipes à leurs places.
« Leur rôle est de permettre l’expression des difficultés, ce qui nécessite d’autoriser le partage de feedback. Souvent, par peur d’ouvrir une « boîte de Pandore », on privilégie une approche technologique, au détriment d’une réflexion sur les usages. Or, il est essentiel d’aménager les plannings pour instaurer de véritables espaces de discussion. C’est ainsi que les normes d’usages implicites et irréfléchies auront une chance de devenir explicites et raisonnées », développe Arthur Vinson.
Vers une gestion plus saine du numérique
La clé pour passer d’un cercle vicieux à un cercle vertueux est donc de travailler sur l’exemplarité numérique. Voici 4 conseils pour la mettre en place :
- Utiliser des données pour mettre en visibilité l’infobésité et la reconnaître comme un facteur de pénibilité et surtout le principal consommateur du temps de travail des équipes.
- Organiser des discussions libres et bienveillantes sur les habitudes de communication. Par exemple, réagir à une boucle d’emails envoyée le week-end pour comprendre les mécanismes sous-jacents.
- Déconstruire les croyances numériques par des règles de fonctionnement explicites :
– « Non, je n’ai pas besoin d’être en copie pour savoir que vous travaillez »
– « Non, se reconnecter le soir n’est pas un gage d’engagement »
– « Non, une perte d’information n’est pas sanctionnée » - Appliquer et faire vivre ces principes au quotidien, en impliquant l’ensemble des équipes.