Réforme de la protection des œuvres d’IA : Rachida Dati s’engage, est-ce vraiment nécessaire ?

Dans une interview accordée au journal Les Échos le vendredi 12 avril dernier, la Ministre de la Culture, Rachida Dati, a indiqué qu’elle envisageait de prendre des mesures pour protéger les créateurs face aux défis posés par l’intelligence artificielle. À l’ère où l’intelligence artificielle (IA) prend une place croissante dans les applications technologiques des entreprises, la question de la protection des créations générées par machines sous le régime du droit d’auteur devient en effet cruciale.

Le 27 novembre 2023, le Beijing Internet Court, tribunal chinois dédié aux litiges liés à Internet, a tranché en faveur de la protection par le droit d’auteur d’une œuvre d’art produite par IA, marquant un précédent important.

En contraste, l’Office américain du droit d’auteur (USCO) avait clarifié le 14 février 2022 que les œuvres créées par intelligence artificielle ne pouvaient prétendre à une protection par le droit d’auteur, soulignant l’absence de contribution humaine créative nécessaire selon les standards actuels.

Ces décisions divergentes soulignent les défis et les débats en cours dans la reconnaissance juridique des œuvres d’IA à travers le monde.

Toutefois, une analyse objective sur notre droit de la propriété intellectuelle permet de conclure que celui-ci est en mesure de relever les défis de l’intelligence artificielle et que l’édiction d’une règlementation supplémentaire, sauf à vouloir rassurer les acteurs de la culture et succomber une fois encore à la tentation de l’inflation législative n’est pas justifiée.

L’intelligence artificielle et son rôle dans la création

L’intelligence artificielle (IA) est une technologie qui cherche à améliorer et à automatiser les fonctions de raisonnement et d’apprentissage typiquement associées à l’intelligence humaine. Elle fonctionne en développant des algorithmes capables d’analyser des données, d’apprendre de ces analyses et de prendre des décisions ou d’effectuer des tâches qui, traditionnellement, nécessitent une intervention humaine. Bien que l’IA soit capable de créer des logiciels avancés et de réaliser des tâches complexes, elle dépend intrinsèquement des instructions et des objectifs fixés par les humains. En ce sens, elle n’agit pas de manière autonome; elle reste un outil conçu pour augmenter ou compléter les capacités humaines, et non pour les remplacer.

Le droit d’auteur et les créations humaines

Le droit d’auteur tel que prévu par le code de la propriété intellectuelle vise à protéger les créations originales des êtres humains (article L 111-1 du Code de propriété intellectuelle). Une œuvre est considérée comme originale si elle résulte de choix esthétiques reflétant l’empreinte d’une personne physique. Selon le droit français, une œuvre ne peut être créée que par une personne physique, car une machine est dépourvue de personnalité juridique et de personnalité créatrice.

Limites de l’intelligence artificielle en tant qu’auteur

Les créations produites par des machines, telles que des photographies prises par un singe ou des tableaux réalisés par un dispositif automatisé, ne sont pas considérées comme des œuvres, car elles n’expriment pas la personnalité de l’animal ou de la machine. L’IA ne peut pas prendre l’initiative créatrice, car c’est son propriétaire, son programmeur ou son utilisateur qui décide de lui confier cette tâche.

L’expression de la personnalité et l’originalité dans la création

L’acte de création ne se résume pas à un simple assemblage informatique de formes, de couleurs ou de sons. Il s’agit plutôt de l’expression d’une personnalité. L’IA, en raison de son absence de personnalité propre et de sa nature artificielle, est fondamentalement inapte à créer des œuvres originales au sens du droit d’auteur.

Utilisation de l’intelligence artificielle comme un instrument de création

Lorsque l’intelligence artificielle est utilisée comme un outil au service de la créativité d’un auteur humain, le droit d’auteur peut être envisageable. Dans ce cas, les résultats de l’utilisation de l’IA peuvent être attribués à l’auteur qui a une part créative dans l’œuvre.

Les alternatives pour protéger les résultats de l’utilisation de l’intelligence artificielle

Si l’on souhaite protéger juridiquement les résultats de l’utilisation de l’intelligence artificielle sans les attribuer à un auteur humain, il est possible de les rattacher à un exploitant qui bénéficie des droits du programmeur et du producteur des bases de données, ou de considérer cet exploitant comme le créateur de l’intelligence artificielle elle-même.

Toutefois, si l’intelligence artificielle a véritablement été autonome dans la production de l’œuvre, celui qui l’a conçue ne pourra être considéré comme l’auteur de l’invention ou de l’œuvre au sens du droit d’auteur dès lors que l’acte créatif n’émane pas de son esprit.

Recours à l’action en concurrence déloyale

Lorsque la protection par le droit d’auteur n’est pas applicable, les juridictions admettent la possibilité de se tourner vers l’action en concurrence déloyale pour protéger les investissements liés à l’utilisation d’œuvre sans droit à partir de l’intelligence artificielle.

Il est alors possible pour un créateur qui voit son œuvre utilisé dans droit par une machine de considérer que celle-ci a commis un acte de parasitisme en utilisant ses efforts sans le moindre investissement.

Perspectives futures

De nombreux acteurs de l’écosystème artistique ont exprimé leurs inquiétudes concernant la violation du droit d’auteur par les outils d’intelligence artificielle. Ainsi la journal Libération a donné la voix à un collectif de traducteurs, plus de 200 artistes ont signé une pétition sur le site Medium, de même que le Washington Post a publié une pétition signée par 5000 auteurs ; soulignant ainsi l’importance du débat sur les droits d’auteur à l’ère de l’intelligence artificielle.

On pourra cependant faire confiance au législateur pour succomber à sa passion pour l’édiction des lois inutiles et répondre par la loi aux revendications des divers groupes sociaux du milieu artistique qui ont exprimé leur inquiétude sur ce sujet.

Reste que le droit de la propriété intellectuelle actuel est parfaitement adapté pour relever les défis posés par l’intelligence artificielle et pour récompenser justement les créateurs d’œuvres de l’esprit.

En conclusion, bien que l’intelligence artificielle puisse simuler ou imiter la création, elle ne peut pas produire des œuvres de l’esprit au sens du droit d’auteur, en raison de son caractère artificiel et de son absence de personnalité. Pour protéger juridiquement les résultats de l’utilisation de l’intelligence artificielle, il est nécessaire d’attribuer ces résultats à un auteur humain ou à un exploitant, en reconnaissant leur contribution créative, ou de recourir à l’action en concurrence déloyale.

Par Alexandre Lazarègue Avocat au Barreau de Paris

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