Hausse des défaillances d’entreprises en France : état des lieux et perspectives

L’année 2023 a marqué un tournant décisif pour les entreprises en termes de défaillances. Alors que le dispositif d’aides publiques sans précédent déployé pendant la pandémie avait permis de faire baisser les défaillances à un niveau jamais vu depuis 30 ans, cette anomalie statistique a été largement corrigée depuis ces deux dernières années.

Selon les dernières statistiques de la Banque de France, environ 61 081 entreprises ont été soumises à une procédure d’insolvabilité au cours des 12 mois précédents. Il ne s’agit plus seulement d’un rattrapage des niveaux d’avant-crise sanitaire : on s’approche désormais d’un nouveau sommet historique depuis dix ans.

Retour – et dépassement – des niveaux Pré-Covid

En 2023, la France a enregistré 57 729 procédures, amiables ou collectives, soit une augmentation de 36 % par rapport à 20221. Ces chiffres montraient déjà un retour aux niveaux de défaillances observés avant la crise sanitaire, notamment ceux de 2016 et 2014.

Les dernières statistiques de la Banque de France (juin 2024)2 confirment que l’augmentation des défaillances dépasse désormais les niveaux d’avant-crise : environ 61 081 entreprises ont été soumises à une procédure d’insolvabilité au cours des 12 mois précédents.

Compte tenu des dispositifs de soutien exceptionnels mis en place pendant la pandémie, un rattrapage était naturellement attendu, mais il est désormais insuffisant pour expliquer une telle hausse.

Impact sur l’emploi et secteurs d’activité touchés

Au-delà du nombre d’entreprises, c’est l’augmentation de leur taille et du nombre des emplois menacés qui a de quoi préoccuper : en 2023, le record d’emplois menacés par l’ouverture d’une procédure collective a été atteint avec 243 700 emplois concernés, soit +70% par rapport à 2022, alors que le nombre de défaillances n’avait progressé « que » de +36 %.

Cette augmentation est particulièrement marquée dans les entreprises de taille intermédiaire, comptant entre 200 et 4 999 employés. Le secteur du commerce, de la construction, de l’immobilier, et des transports sont les plus touchés. Les défaillances de start-ups s’accroissent également du fait de la contraction des levées de fonds.

Le « top 10 » des entreprises de plus de 500 salariés ayant eu recours à une procédure judiciaire concentre 44 306 emplois menacés.

Il faut néanmoins prendre en compte l’impact de quelques situations exceptionnelles telles que la sauvegarde de Casino, qui s’est distinguée par son ampleur hors normes : un chiffre d’affaires de 7 057 millions d’euros, bien supérieur à la plus grande défaillance de 2022, qui s’élevait à 429 millions d’euros.

Une hausse des procédures qui reflète des difficultés structurelles, mais peut-être aussi une prise de conscience de l’efficacité des outils de prévention et de traitement

Une large partie de la hausse observée s’explique certainement par la combinaison du poids de la dette générée pendant la crise sanitaire (PGE et autres), alors que le chiffre d’affaires a diminué pendant cette période (condamnant ainsi les entreprises à améliorer leur rentabilité en sortie de crise) avec les effets des tensions géopolitiques (hausse des matières premières, inflation, impact sur la consommation, hausse des taux d’intérêt…).

Mais dans une perspective plus positive, une partie de cette hausse pourrait s’expliquer par une meilleure anticipation des chefs d’entreprise, et donc une plus forte utilisation de ces outils. Ces procédures ne sont en effet, pour la plupart d’entre elles, pas punitives, mais reposent au contraire sur une démarche volontariste du dirigeant.

Voici leurs intérêts principaux pour la pérennité de l’entreprise :

  • Mandat Ad Hoc et Conciliation : Ces procédures amiables et confidentielles permettent de négocier avec les créanciers sous la supervision d’un mandataire judiciaire. Le mandat ad hoc est souvent utilisé pour résoudre des difficultés ponctuelles, tandis que la conciliation s’adresse aux entreprises en cessation de paiements imminente ou avérée.
  • Sauvegarde : Destinée aux entreprises qui ne sont pas encore en cessation de paiements mais qui rencontrent des difficultés importantes, cette procédure permet de geler les dettes antérieures et de mettre en place un plan de sauvegarde pour assurer la poursuite de l’activité en permettant de négocier le passif avec ses créanciers et, dans le pire des cas, de leur imposer un remboursement sur une durée maximum de 10 ans.
  • Redressement Judiciaire : Pour les entreprises en cessation de paiements, cette procédure vise à permettre la poursuite de l’activité au travers de l’adoption d’un plan de continuation qui permet d’étaler le remboursement des dettes de la même manière qu’en sauvegarde. Mais si cela n’est pas possible, les actifs seront cédés « à la barre » au mieux-disant dans le cadre d’un plan de cession.

La transposition de la directive européenne sur l’insolvabilité en 2021 a créé de nouveaux ponts entre les procédures amiables (mandat ad hoc, conciliation) et judiciaires (sauvegarde, redressement judiciaire) en introduisant en particulier le mécanisme d’adoption d’un plan par des « classes de parties affectées ».

Cela permet dans certain cas de surmonter le blocage de certains créanciers lors de discussions amiables, pour leur imposer une solution agréée par certaines classes de créanciers, dans le cadre d’une procédure judiciaire.

C’est notamment pour cette raison que des entreprises comme Casino ou Orpea ont eu recours à la procédure de sauvegarde, ce qui a nécessairement un impact sur les statistiques.

Les procédures de prévention et de traitement pourraient devenir stratégiques

De son côté, l’État s’emploie à essayer d’éviter les défaillances présentant des risques systémiques, par le biais notamment du Comité Interministériel de Restructuration Industrielle (« CIRI ») ou certains outils d’investissement.

Au plan réglementaire, l’avenir du processus d’harmonisation des outils de prévention et de traitement des difficultés au niveau européen est aussi en question, alors que l’on commence à peine à avoir du recul sur les effets de la dernière directive, et que la situation géopolitique tant au niveau national qu’européen est incertaine.

Bien que les chiffres actuels puissent paraître préoccupants, ils ne doivent pas cacher les succès des entreprises ayant eu recours à ces outils. Il n’est pas anodin de constater que les plus grandes entreprises figurant dans ces statistiques ont précisément pu perdurer grâce au succès de la mise en œuvre des procédures de prévention et de traitement des difficultés.

Une compréhension approfondie de ces outils et une planification stratégique de leur utilisation peuvent permettre à des entreprises fragilisées de non seulement survivre, mais aussi de se renforcer face à l’adversité.

Par Sylvain Paillotin, Avocat Associé chez Redlink Avocats

1 Source : étude Deloitte Altares, Mai 2024
2 Source : Banque de France : www.banque-france.fr/fr/publications-et-statistiques/statistiques

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