Gestion du poste clients : l’heure est à la vigilance

Confrontées à un environnement de risques qui se complexifie et des trésoreries qui, pour nombre d’entre elles restent sous tension, les entreprises n’ont d’autres choix que de renforcer leur processus de prévention et de gestion du poste clients. Cette démarche est tout aussi indispensable pour éviter les impayés et les retards de paiement que pour accélérer les rentrées de « cash » et financer ainsi leur besoin en fonds de roulement.
Rarement la conjoncture n’aura autant mis sous pression les entreprises. Le risque client a ainsi atteint des sommets historiques en 2024, avec 67 830 défaillances enregistrées (Altares). « Il semblerait néanmoins que la courbe des défaillances ait atteint un plateau, nuance Thierry Millon, directeur des études chez Altares. En effet, la trajectoire de ralentissement observée depuis plusieurs mois se confirme néanmoins avec une hausse deux fois moins rapide des sinistres sur douze mois : +17 % en 2024 contre + 36 % en 2023. Une décélération d’autant plus marquée au quatrième trimestre (+ 10 %). En ce début d’année, le niveau des défaillances semble se stabiliser. Janvier et février comptent près de 6 000 défauts chacun, un nombre qui reste très élevé mais stable par rapport à celui enregistré un an plus tôt ».
Au-delà de ce risque qui demeure élevé, Altares soulève également dans ses analyses une augmentation des défaillances deux fois plus rapide pour les PME et ETI de plus de 50 salariés.
« Depuis l’année dernière, les entreprises du BtoB sont également plus à la peine qu’auparavant, précise Thierry Millon. Ces difficultés s’inscrivent notamment dans le sillon de celles rencontrées par les entreprises du BtoC. Certaines entreprises restent également fragilisées par le remboursement de leur PGE ou l’augmentation de leurs charges d’exploitation. D’autres, en particulier dans la sous-traitance automobile ou aéronautique, sont confrontées à de fortes cadences de production qui génèrent d’importants besoins en fonds de roulement qu’elles ont du mal à satisfaire ».
« Plus globalement, quatre secteurs concentrent près de 70 % des défaillances : le commerce, la construction, l’hébergement restauration, le conseil et les services aux entreprises », précise Jean-François Doucède, vice-président d’Infogreffe.
Parallèlement au volume des défaillances d’entreprises, à une croissance économique qui en France, en Europe et dans le monde reste limitée, mais aussi à des défis sectoriels spécifiques, les entreprises pourraient aujourd’hui souffrir du nouvel environnement commercial qui se dessine. « L’impact sur les trésoreries d’entreprises de la guerre commerciale en cours et de la hausse des tarifs douaniers imposée par Donald Trump n’est pas à négliger », précise Laurent Treilhes, président du Comité Exécutif d’Allianz Trade en France.
Selon l’assureur-crédit, la guerre commerciale qui se profile représente actuellement le principal risque de hausse des défaillances pour les mois à venir. Face à cet environnement de risques et alors que les trésoreries restent souvent sous pression, les entreprises tirent de nouveau sur les délais de paiement. Ces derniers sont d’ailleurs retournés à de très hauts niveaux l’année dernière, compris en moyenne et selon les études entre 14 jours (Altares) et plus de 17 jours (Cabinet Arc/Ifop et Ellisphere).
« En 2024, les comportements de paiement ont continué de se dégrader avec des délais de règlement en augmentation constante », souligne Thierry Millon. Or, un quart des défaillances d’entreprises résulte de retards de paiement… Dans cet environnement de risques, la gestion du cash et du poste clients redevient l’une des principales priorités des entreprises. À cet effet, les entreprises peuvent activer plusieurs leviers.
Prévenir et piloter le risque client
Avant toute chose, il convient de mettre en place des dispositifs de prévention des risques clients/fournisseurs. Les entreprises doivent notamment renforcer le suivi de la santé financière de leurs clients. À cet effet, elles peuvent s’appuyer sur les services proposés par les prestataires de l’information légale (Ingogreffe) ou de l’information d’entreprise (Altares, Ellisphere, Creditsafe…). Ils ont notamment pour vocation à délivrer des analyses sur la solvabilité des tiers de l’entreprise, en fonction de différents indicateurs liés par exemple à leur données bilancielles, leurs comportements de paiement, leur niveau d’endettement, etc.
Ces prestataires s’attachent à faire évoluer leurs analyses de solvabilité en permanence afin d’affiner leurs prédictions de risques. « Nous venons par exemple de développer un indicateur au travers duquel nous analysons l’endettement des entreprises et leur efficience économique par rapport à leur secteur d’activité et leur marché, explique Marie-Noëlle Thomas, directrice Business Line Risk Management chez Ellisphere. Il vient en complément de notre analyse de solvabilité ».
Ces données externes sont bien entendu à croiser avec celles dont l’entreprise dispose en interne. Les commerciaux sur le terrain jouent en la matière un rôle prépondérant. En contact direct avec les clients, ils sont les mieux à même de détecter leurs éventuelles difficultés, passagères ou non. Pour aller un cran plus loin dans la prévention du risque, les entreprises peuvent également se tourner vers les assureurs-crédit. En effet, la spécificité et la force des assureurs-crédit tiennent en premier lieu au service de prévention qu’ils proposent à leurs assurés.
Dans le cadre de leurs missions, ils évaluent et surveillent la situation financière des entreprises afin de délivrer un haut niveau d’information en la matière à leurs assurés. Les garanties d’assurance proposées permettent ensuite aux assurés d’être indemnisés des créances non recouvrées et de protéger ainsi leur trésorerie et leur rentabilité.
Définir et suivre une stratégie de gestion du poste clients
Pour limiter toute exposition au risque et accélérer les rentrées de cash, la mise en place d’une gestion de poste et du crédit clients efficace est également essentielle. Il est à cet effet important de définir une politique de crédit claire. Il convient également d’adapter les conditions de paiement au niveau du risque client qui aura été analysé préalablement.
Pour un client identifié comme à risque, il est ainsi recommandé de demander soit un paiement à la commande, soit des acomptes et des délais de paiement plus courts. La rédaction du contrat commercial et des Conditions Générales de Ventes puis leur signature par l’ensemble des parties prenantes est indispensable.
Le suivi des encours est ensuite nécessaire pour réduire les délais de paiement et éviter les impayés. À cet effet, il faut notamment identifier le récepteur de la facture chez son client et mettre en place des processus clairs entre les équipes exécutives ou commerciales et la comptabilité, pour que la facturation soit effectuée le plus rapidement possible. Une fois la facture envoyée, il convient de surveiller les retards de paiement, notamment au travers de sa balance âgée, et de mettre en place des actions de recouvrement adaptées en cas de retard de paiement.
Ces dernières peuvent allier des procédures amiables aux procédures judiciaires (assignation au fond, injonction de payer…). Des démarches que les entreprises externalisent d’ailleurs de plus en plus auprès de prestaires du recouvrement de créances, au regard du dynamisme du secteur. « Nous avons enregistré une croissance de 5 % de notre activité l’année dernière, par rapport à la même période en 2023, précise ainsi Thomas Duvacher, président d’Intrum France. Cette croissance devrait être largement confortée cette année ».
« Nous avons également de plus en plus de demandes d’accompagnement dans l’organisation des process internes de recouvrement de créances et pour l’externalisation de la relance des comptes clients en marque blanche », ajoute pour sa part Denis Le Bossé, président du Cabinet Arc. Au-delà de leur expertise sur le sujet, ces prestataires garantissent aux entreprises que les procédures sont diligentées dans le respect du droit en la matière.
Accélérer les rentrées de « cash »
Cette mise en place de procédures de recouvrement de créances contribue également à l’accélération des rentrées de cash et à l’amélioration du besoin en fonds de roulement des entreprises. À cet effet, elles peuvent d’ailleurs aussi recourir à l’affacturage. Ce financement court terme leur permet en effet d’obtenir rapidement une avance de trésorerie par la cession de factures en attente de règlement. Il inclue aussi généralement des prestations de recouvrement de créances et une assurance-crédit.
Face aux besoins de cash des entreprises mais aussi au contexte actuel de risques, les factors comptent d’ailleurs de plus en plus de clients en portefeuille. « En 2024, nous avons ainsi observé que les entreprises faisaient davantage appel à nos services en raison d’une situation de trésorerie tendue ou par précaution, en prévention d’éventuels besoins de trésorerie à venir », précise Philippe Mutin, directeur Général de Crédit Mutuel Factoring et Factofrance.
Les « factors » sont ainsi un soutien pour l’économie, et les entreprises pourraient d’ailleurs bien participer à « l’effort de guerre ». Face aux conséquences de l’augmentation des droits de douanes, mais aussi du contexte géopolitique, le recours à l’affacturage devrait en effet se renforcer en 2025 pour, par exemple, participer au financement du besoin en fonds de roulement de la Supply Chain du secteur de la défense.