Fatigue chronique, violences, pression permanente : agir au cœur du travail face à l’urgence du mal-être
Le cabinet Ekilibre Conseil, spécialiste de la santé psychologique au travail, présente les résultats du premier baromètre national mené avec OpinionWay sur les causes profondes du mal-être en entreprise. À travers ce sondage mobilisant un échantillon représentatif de plus de 1 025 salariés, une réalité systémique s’impose : le mal-être psychique et physique est indissociable du travail pour une large part de la population active, parfois de façon silencieuse.
Fatigue chronique, surcharge mentale, violences banalisées, perte de sens, invisibilité du mal-être : loin d’être des situations marginales, ces réalités sont aujourd’hui systémiques. Les résultats de ce baromètre mettent en lumière les mécanismes invisibles de la souffrance au travail et plaident pour une transformation structurelle des organisations.
« Ce baromètre révèle une vérité que l’on ne peut plus ignorer : le mal-être au travail n’est plus un signal faible. Il est devenu un fait social majeur, ancré dans la somme de déséquilibres répétés entre les exigences professionnelles et les ressources disponibles. Au-delà du traitement des symptômes, la santé organisationnelle et ses causes racines : spirale de surcharge, appauvrissement du sens, isolement… doit être questionnée et accompagnée de toute urgence, avec méthode, à la hauteur des enjeux », commente Jean-Christophe Villette, psychologue du travail et des organisations et dirigeant d’Ekilibre Conseil.
Un mal-être généralisé et persistant
Les chiffres parlent d’eux-mêmes. Près de 8 salariés sur 10 se déclarent concernés par une fatigue professionnelle, symptôme d’un épuisement physique et mental devenu endémique. 66 % vivent un stress quotidien, souvent sans dispositif de régulation, et 43 % expriment un sentiment de mal-être au travail. Parmi ces derniers, 3 sur 4 affirment que cet état nuit directement à leur santé mentale et/ou physique.
Ce mal-être ne reste pas sans conséquences sur les arrêts de travail : 20 % des salariés interrogés déclarent avoir été en arrêt maladie au cours des six derniers mois, pour une cause liée au travail, qu’il s’agisse d’un burn-out, de douleurs musculo-squelettiques, ou de troubles psychiques.
« Ce n’est plus une addition de signaux faibles : c’est un faisceau massif d’indicateurs qui témoigne d’une dégradation structurelle de nos environnements de travail. Ce que nous observons, c’est moins une crise passagère qu’un épuisement organisé qui s’enracine, devenu la norme dans trop d’organisations. Il est temps de sortir de l’anesthésie collective et de réinvestir la question de la soutenabilité travail », analyse Jean-Christophe Villette.
Violences au travail : un phénomène trop banalisé
Les violences, verbales, psychologiques ou physiques, sont loin d’être marginales. Un quart des salariés (25 %) affirme avoir été exposé à des violences dans leur environnement professionnel, que ce soit à travers des comportements dégradants internes (harcèlement moral, pressions, mises à l’écart) ou des incivilités et agressions externes (clients, usagers).
Parmi ces salariés victimes, 58 % estiment avoir été harcelés moralement, et 19 % rapportent des situations de harcèlement sexuel ou de comportements sexistes. Ces violences ne sont pas ponctuelles : près d’un salarié concerné sur trois dit y être confronté fréquemment, voire quotidiennement.
« La violence au travail ne commence pas toujours avec des cris. Elle naît souvent dans le silence, les mots blessants banalisés, parfois sous couvert « humour » ou de « simples maladresses ». Ce qu’on ne nomme pas, s’installe et ces violences finissent par faire corps avec la culture d’entreprise », poursuit Jean-Christophe Villette.
Une analyse scientifique des causes racines pour passer du ressenti à l’action
Afin de dépasser le simple recueil de perceptions, ce baromètre intègre une analyse rigoureuse des causes racines du mal-être au sens du rapport Gollac et des indicateurs recommandés par l’INRS. D’abord par un recueil du niveau de ces indicateurs pour tous les facteurs de risques psychosociaux principaux pour constituer un référentiel objectivé, jusque-là inexistant au niveau national. Puis en complétant cette démarche par l’application de modèles statistiques performants pour dépasser ce qui n’est pas visible à l’œil nu.
Cette démarche repose sur des modèles statistiques de type régression stepwise, qui permettent de hiérarchiser les facteurs les plus explicatifs du stress, la fatigue, le mal-être ou l’insatisfaction au travail.
Les résultats confirment que les causes organisationnelles (charge mentale, intensité émotionnelle, absence d’écoute, absence de reconnaissance, inadéquation des moyens) sont les plus puissants prédicteurs du mal-être, bien devant les caractéristiques personnelles ou contextuelles. Cette objectivation permet aux entreprises de ne plus se limiter à l’écoute des signaux faibles, mais d’agir sur les leviers structurels du travail lui-même.
Tout d’abord, l’intensité cognitive du travail : 64 % des salariés doivent maintenir une vigilance permanente, et près de la moitié (47 %) disent devoir dissimuler leurs émotions pour rester professionnels, quitte à s’épuiser intérieurement. La pression temporelle est également en cause : 39 % dénoncent un rythme de travail soutenu, et 27 % estiment que les moyens mis à disposition sont insuffisants pour atteindre les objectifs fixés. Ce déséquilibre génère de la frustration, voire un sentiment d’échec.
Enfin, la perte de reconnaissance et de sens est un facteur majeur : 33 % des salariés se sentent invisibles ou dévalorisés, et 24 % jugent ne pas pouvoir produire un travail de qualité, en raison d’une organisation déficiente.
« Ce que montre notre analyse, c’est une invitation à dépasser l’analyse des fragilités individuelles culpabilisantes pour les salariés en déséquilibres. J’invite à questionner la santé organisationnelle. Quand la charge mentale, le manque d’écoute ou l’absence de reconnaissance deviennent systémiques, ils produisent de la souffrance. Ce baromètre donne enfin aux entreprises une boussole pour comprendre et agir là où ça fait mal : sur les fondations mêmes du travail », explique Jean-Christophe Villette.
Une mobilisation encore insuffisante des entreprises
Face à cette réalité, la mobilisation des employeurs reste, selon les salariés, en deçà des enjeux. 55 % estiment que leur entreprise n’agit pas concrètement pour préserver leur santé mentale. Seuls 23 % ont bénéficié d’une formation sur les risques psychosociaux dans les trois dernières années.
Pire, plus de la moitié des salariés (53 %) ne savent pas vers qui se tourner en cas de souffrance psychologique au travail dans leur organisation, qu’il s’agisse : d’un manager, d’un collègue de confiance, d’in élu ou d’un service RH. L’isolement est donc à la fois émotionnel et structurel au travail face aux vulnérabilités. Quand on croise avec les solutions externes mobilisables, ils sont encore 33 % à n’identifier aucun interlocuteur qualifié pour les aider.
« Il faut sortir de la prévention cosmétique. Deux séances de relaxation ne suffiront jamais à réparer une organisation qui épuise. Ce que demandent les salariés, ce n’est pas juste un geste symbolique. Parler de santé mentale au travail, c’est parler de gouvernance, de justice organisationnelle, de conditions concrètes pour faire un travail de qualité. C’est là que se joue les enjeux d’une prévention qui sera efficace », conclut Jean-Christophe Villette.
Méthodologie de l’étude :
Baromètre « Santé et conditions de travail – les causes racines du mal-être » a été réalisé par OpinionWay pour EKILIBRE Conseil, du 28 avril au 9 mai 2025 sur internet par questionnaire autoadministré auprès d’un échantillon de 1 025 salariés. L’échantillon a été constitué selon la méthode des quotas, au regard des critères de genre, d’âge, de région, et de catégorie socio-professionnelle, secteur. Les résultats ont été pondérés par ces mêmes critères.