Réforme de la procédure d’insolvabilité : un changement de paradigme ?

L’ordonnance du 15 septembre 2021 et son décret d’application du 23 septembre 2021, qui transposent la directive européenne (UE) 2019/1023 du 20 juin 2019 « Restructuration et insolvabilité », ont modifié profondément les procédures de traitement des difficultés des entreprises. Les acteurs du droit des procédures collectives, comme les entreprises, s’interrogent donc aujourd’hui sur l’influence de cette réforme sur les procédures à venir dans un contexte économique rendu incertain par la crise des composants, l’augmentation des prix des matières et la nécessité de rembourser les PGE souscrits pendant la crise sanitaire.

Entrée en vigueur le 1er octobre dernier, la réforme vise à renforcer l’attractivité du droit français et à encourager le financement de nos entreprises en facilitant le recours aux procédures amiables, qui ont démontré leur efficacité dans le traitement des difficultés des entreprises, et en accordant un rôle plus important aux créanciers qui, il faut l’avouer étaient jusqu’à présent plutôt cantonnés à un rôle d’observateurs.

Quelles sont les principales nouveautés en matière de prévention ?

Outre le renforcement de la procédure d’alerte du commissaire aux comptes ainsi que celui des pouvoirs des présidents de tribunal pour déceler les difficultés des entreprises, les nouvelles mesures en matière de prévention concernent principalement la conciliation.

La réforme pérennise ainsi l’une des mesures phare des ordonnances « covid », en permettant aux entreprises de solliciter du président du tribunal qu’il suspende, pendant la durée de la conciliation, l’exigibilité de certaines créances, lorsque le créancier n’accepte pas de le faire lui-même. La réforme améliore aussi la situation des garants – personnes physiques ou morales – qui peuvent maintenant bénéficier des délais accordés à l’entreprise pendant la conciliation.

D’autres dispositions visent par ailleurs à sécuriser les accords de conciliation en évitant que les suretés les garantissant ne tombent en cas d’ouverture d’une procédure collective.

Quelles sont les principales nouveautés en matière de procédure collective ?

La réforme ouvre à toutes les entreprises la procédure de sauvegarde accélérée dont la durée maximale est fixée à quatre mois. Cette possibilité permet de limiter les effets négatifs de l’ouverture d’une procédure à l’égard des partenaires de l’entreprise. Le projet de plan étant alors préparé en amont dans le cadre d’une procédure confidentielle de conciliation, dès l’ouverture de la sauvegarde, l’entreprise sera en mesure de communiquer sur son adoption à bref délai.

Afin de faciliter le financement du plan de sauvegarde ou de redressement, la réforme instaure un privilège nouveau au bénéfice des personnes qui consentent un nouvel apport de trésorerie à l’entreprise pendant la procédure ou qui s’engagent à le faire pour l’exécution du plan.

Enfin, la réforme permet maintenant aux garants personnes physiques de se prévaloir de l’arrêt des poursuites et du plan en redressement comme c’était déjà le cas en sauvegarde. Cela vise notamment à sécuriser les dirigeants cautions de leur entreprise.

Johan AkroutQui élaborera le projet de plan de restructuration ?

En sauvegarde, seul l’entreprise peut présenter un plan. Les dirigeants conservent donc le contrôle de la procédure, parties affectées ou pas. En revanche, en redressement judiciaire, tout créancier peut proposer un projet de plan.

Qu’implique l’introduction des classes de parties affectées ?

Il faut d’abord souligner que cette mesure concernera essentiellement les ETI, les grandes entreprises ou les grands groupes puisqu’elle n’est obligatoire qu’au-delà de certains seuils alternatifs, fixés à 250 salariés et 20 millions d’euros de chiffre d’affaires net ou 40 millions d’euros de chiffre d’affaires net. Dans les groupes de sociétés, ces seuils sont à apprécier au niveau du groupe.

L’ensemble des créanciers, exception faite des salariés, sera regroupé par l’administrateur judiciaire selon leur rang, leurs sûretés et leurs intérêts, dans différentes classes qui devront se prononcer sur le plan proposé par l’entreprise.

Cette répartition sera fondamentale lorsque l’on sait que le plan de restructuration ne sera adopté que si chaque classe l’a approuvé à la majorité des deux tiers des voix détenues par les membres ayant exprimé un vote.

La réforme prévoit toutefois des garde-fous, tels que le respect du critère du meilleur intérêt des créanciers (best interest test) consistant à vérifier que les créanciers qui n’ont pas accepté le plan ne seraient pas mieux traitées en liquidation judiciaire, ainsi qu’un mécanisme d’application forcée interclasse (ou cross-class cram-down) permettant l’adoption d’un plan malgré le véto des classes de créanciers minoritaires.

Quels impacts concrets de la réforme sur les entreprises peut-on imaginer pour les prochaines années ?

Il est clair que la réforme modifie sensiblement l’équilibre des forces de la procédure à la française : négligeables depuis la loi de 1985, les intérêts des créanciers doivent dorénavant être pris en compte.

Certains le déploreront dès lors que les créanciers pourront mettre en échec un plan proposé par l’entreprise et même en redressement judiciaire faire adopter leur propre plan contre celui de l’entreprise. De même, la crainte des créanciers de se voir imposer des délais de paiement allant jusqu’à dix ans en sauvegarde les incitait à rechercher un accord amiable en conciliation. Qu’en sera-t-il désormais ? Enfin, la réforme est muette sur le sort de l’entreprise si son plan de sauvegarde est refusé par ses créanciers. Faudra-t-il convertir la procédure sauvegarde en redressement judiciaire ? Probablement, mais cela paraît peu satisfaisant.

D’un autre côté, la réforme a voulu créer un meilleur équilibre entre les intérêts de l’entreprise et ceux de ses créanciers et rapprocher en cela les droits des États membres de l’Union. Les préteurs sont mieux sécurisés, ce qui, en théorie du moins, devrait encourager le financement des entreprises, y compris lorsqu’elles rencontrent des difficultés.

En pratique, toutefois, la complexité d’un certain nombre de ces mesures limitera sans doute leur utilisation, le temps que les praticiens en maîtrisent le maniement.

Par Edouard Fabre, associé et Johan Akrout, collaborateur du cabinet FTPA

La rédaction

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