Développement de l’Industrie 4.0 : Comment anticiper l’évolution des compétences ?

Alors que la France place l’industrie du futur au cœur de sa stratégie industrielle, de nombreuses entreprises peinent à se doter des compétences dont elles ont besoin pour réussir cette “new-industrialisation”. De juin à décembre 2017, le cabinet de conseil en stratégie Katalyse a réalisé une étude commanditée par la Commission Paritaire Régionale pour l’Emploi et la Formation Professionnelle des Pays de la Loire afin d’identifier les impacts engendrés par le développement de l’industrie 4.0 sur les entreprises du secteur de l’ingénierie et du numérique.

Un diagnostic qui ouvre la voie à un état des lieux de l’emploi et de la formation dans l’industrie 4.0, selon Hervé Dissaux, consultant en charge du volet Emplois/Compétences et des industries manufacturières chez Katalyse.

Repenser la chaîne de valeur face à de nouveaux enjeux

Répondre à une demande de produits toujours plus personnalisés et complexes, avec davantage de réactivité, tout en diminuant l’impact environnemental constitue l’un des défis majeurs de l’industrie du futur. Pour résoudre cette équation qui restait à ce jour sans solution, l’ensemble de la chaîne de valeur (production, fonctions support et écosystème extérieur) et la stratégie d’entreprise doivent être remis en cause. L’entreprise industrielle n’est plus seulement un site de production, mais un acteur intégré dans un maillage de parties prenantes (sous-traitants, clients, organismes de recherche etc.) où la place de l’humain est revu à la hausse grâce à l’appui de nouvelles technologies poussant les organisations à gérer, exploiter et sécuriser une multitude d’informations. Dans ce cadre, les entreprises se doivent d’adopter de nouvelles formes d’organisation adaptées à ces modes de production plus flexibles : travail en mode projet, vision globale du processus de production et collaboration décloisonnée entre collaborateurs d’origines et de compétences différentes, sont ainsi de mise. Désormais, les équipes ne se réfèrent plus à un manager, au sens strictement hiérarchique de la fonction, mais à un véritable animateur dont le rôle est “d’horizontaliser”, tout en proposant une expertise complémentaire.

Là où de nouveaux métiers de plus en plus pointus, tels ceux de data scientist, ingénieur cybersécurité, opérateur de fabrication additive ou tacticien de l’usine du futur se créent, se dessine a contrario une sorte de mouvement inverse. On observe en effet un besoin croissant de profils interdisciplinaires et de compétences interactionnelles. Ce paradoxe entre expertise accrue des profils et transversalité a pour conséquence de complexifier l’analyse des besoins réels en compétences des entreprises. La définition des métiers dans l’entreprise peut alors perdre de son sens, au profit d’une réflexion sur les compétences dans l’organisation et l’intégration du parcours professionnel du salarié.

Anticiper les besoins et favoriser la montée en compétences ? Les obstacles demeurent tenaces

Plus qu’une réelle révolution, l’industrie 4.0 implique une dynamique de changement perpétuel et de mise à niveau technologique régulière. Les salariés doivent s’adapter en terme de profils métiers et appréhender de nouvelles techniques à un rythme toujours plus rapide. Les responsables des Ressources Humaines ont d’autant plus de mal à tenir la cadence qu’ils n’ont ni perception globale des évolutions des métiers dans leur secteur, ni, la plupart du temps, de vision tactique de l’entreprise à long terme. Pour pallier cette faiblesse, ils doivent ainsi changer d’angle dans leurs pratiques professionnelles en privilégiant le dialogue entre des managers de proximité et des experts pour prendre en compte les évolutions continues ou radicales des compétences. Soumis aux urgences quotidiennes, les managers de proximité sont en effet les premiers à manquer de recul et à être peu dans l’anticipation. La solution réside ainsi dans la construction de relations étroites entre les services RH et les centres de R&D et laboratoires internes, ainsi qu’avec chaque direction d’activité, notamment via des ateliers de travail conjoints. L’objectif étant de repérer certains signaux faibles permettant d’anticiper des évolutions (technologiques, dans le jeu des acteurs, sociétales…) et de les traduire en RH.

Lacune de profils et de formations adaptées

Les récentes campagnes destinées à changer le regard des jeunes sur l’industrie et ses services n’ont pas suffi. Du fait des départs en retraite et des besoins nets de croissance, des volumes de candidats vont devoir être recrutés dans les années à venir à tous les niveaux de qualification dans les entreprises industrielles et de service. Or entre le manque de jeunes candidats et les abandons dans les formations initiales, il faut renforcer d’autres pistes de candidature. Des profils de demandeurs d’emploi ou des profils atypiques peuvent ainsi répondre… si on sait relire la richesse des parcours personnels et professionnels de ces individus. Là est la lourde tâche des organismes d’orientation et d’accompagnement.

Et quand bien même les flux d’arrivée de candidats potentiels sur le marché seraient suffisants pour répondre aux besoins, qu’en est-il des parcours de formation existants ? Le bilan n’est pas satisfaisant pour plusieurs raisons. Tout d’abord, les formations sont peu nombreuses, peu visibles et surtout peu adaptées à l’industrie de demain, notamment sur l’optimisation des processus avec des technologies radicales (cobotique, fabrication 3D…), sur la gestion de systèmes intelligents/connectés et enfin sur les compétences d’adaptation et organisationnelles. Il existe en effet un décalage technique entre les besoins des entreprises et des formations souvent trop générales et peu axées sur les évolutions en cours. Les diplômes s’inscrivent dans des cursus trop longs alors qu’il faudrait privilégier une suite de formations plus courtes et plus ciblées à la maturité des candidats. De plus, les organismes de formation connaissent mal les sujets sur lesquels l’entreprise souhaite être opérationnelle ou n’ont pas de vision à moyen terme des évolutions à venir et des attentes des industriels. Enfin, la formation doit renouveler ses pratiques en intégrant une part de numérique pour répondre aux limites de la formation aujourd’hui (distance, temps, multiplicité des profils…). Mais cela exigera de prendre en compte la fracture numérique.

Le transfert de compétences, clé de la réussite de l’industrie 4.0 ?

Bien conscients de ces difficultés, les organismes de formation réfléchissent à adapter leurs offres de formation initiale et continue pour répondre aux besoins des étudiants, des salariés et de l’entreprise. Mais la clé ne serait-elle pas aujourd’hui de privilégier la formation au sein de l’entreprise par ses parties prenantes ?

L’enjeu premier est de valoriser l’expérience du candidat et du salarié, et de multiplier les moments d’apprentissage tout au long de la vie professionnelle en créant du relationnel autour de la compétence. Une forme d’introspection sur ce que l’on fait au quotidien dans son métier constitue une excellente manière de chercher à développer ses compétences et connaissances, qui plus est lorsque celle-ci est effectuée en équipe et complétée par l’avis d’un expert ! Ainsi se multiplient les séminaires en mode brainstorming et la formation des salariés par d’autres salariés sous forme d’immersion dans les équipes, de tutorats ou de rétro-mentoring.

Certaines entreprises ont également fait le choix de s’appuyer sur des laboratoires de recherche et sur des structures développant le transfert de technologie et ainsi lier la montée en compétence avec les besoins en innovation et R&D. D’autres vont même jusqu’à s’allier à la concurrence, dans un esprit de coopétition, pour développer les compétences du futur. Car c’est bel et bien sur cette combinaison formation / entreprises / recherche que tout se joue !

Pour résumer, trois clés pour une transition vers l’industrie 4.0 réussie :

– Repérer les signaux dans un contexte d’évolution rapide et d’intensification de l’interfaçage humain.
– Etre capable de retranscrire ces signaux en ressources humaines et mettre en avant la richesse des salariés.
– Prendre en compte l’entreprise “étendue” et favoriser le transfert de compétences sans oublier les compétences d’adaptation organisationnelles.

Hervé Dissaux, consultant spécialisé dans les emplois et compétences et l’industrie manufacturière chez Katalyse

La rédaction

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