Denis Payre – « Nous Citoyens », Business Objects, Kiala, CroissancePlus – Il veut bousculer les montagnes et ce diable d’homme y parvient
Business Objects, l’un des plus grands succès français au plan mondial de ces trente dernières années, c’était déjà lui dans les années 90. Kiala, société innovante devenue l’un des grands opérateurs européens de la logistique, c’est lui. Co-créateur de CroissancePlus et du mouvement des Pigeons, c’est encore lui. Il fait bouger les lignes dans tout ce qu’il entreprend et ce, pour deux raisons a priori simples : conviction et vision. Certains disent génie, d’autres flair ; lui répond sens de l’observation. Quoi qu’il en soit, Denis Payre porte le pavillon France haut et fier. En 2013, et c’est une révolution radicale, il fonde le mouvement politique non partisan « Nous Citoyens ». En huit mois, son mouvement serait connu de 35 % des Français et remporte 1,4 % des suffrages aux dernières Européennes. Denis Payre a fait fortune mais nous découvrons ici que ses motivations sont tout autres. Bel exemple et cas d’école du réalisme entrepreneurial, son dernier challenge est d’une autre envergure. Un grand entrepreneur peut-il venir au secours de la nation ?
À suivre.
Entretien avec Denis Payre – Président fondateur de « Nous Citoyens », Co-fondateur de Business Objects, de Kiala et de CroissancePlus
GPO Magazine : En tant qu’entrepreneur, quels sont, d’après vous, les principaux critères de réussite ?
Denis Payre : Je crois qu’on peut parler de réussite pour un entrepreneur, primo, lorsqu’on a atteint les objectifs qu’on s’était fixés et secundo, lorsqu’on a créé de nombreux emplois.
GPO Magazine : Voilà une réponse pour le moins peu conventionnelle…
D.P. : J’ai toujours estimé qu’une des grandes satisfactions de l’entrepreneur devait être de donner du travail. En France, cela n’est pas suffisamment compris. Les chefs d’entreprise sont trop souvent présentés comme ceux qui s’en mettent plein les poches. Cette vision est simpliste, erronée et lourde de conséquences. L’entrepreneur est surtout quelqu’un qui, au final, créera toujours plus de richesses pour la collectivité que celles qu’il aura créées pour lui-même. Pour s’en convaincre, il suffit de regarder le volume des flux financiers et fiscaux générés par l’entreprise : TVA, IS, IR, charges sociales, etc. Si dans notre pays le droit du travail génère des réticences à le faire, j’ai toujours signé les contrats de travail avec enthousiasme. J’ai toujours éprouvé une immense satisfaction à dire à celle ou à celui que je venais d’embaucher… « …tu fais désormais partie de la maison, ton salaire tombera chaque mois, on travaille et on y va…. ».
GPO Magazine : Peut-être comprendrons-nous mieux votre philosophie d’entrepreneur en abordant le cas de Business Objects.
D.P. : Pour Business Objects (BO, ndlr), l’idée remonte au temps où j’étais commercial chez Oracle. J’avais vendu un logiciel avec un langage d’interrogation de bases de données trop complexe pour un non ingénieur informatique.
GPO Magazine : …et c’est alors qu’une lumière s’est allumée… ?
D.P. : Les idées naissent souvent de l’observation d’une attente non satisfaite. Avec mon associé Bernard Liautaud, nous avons alors réfléchi à une solution avec l’aide d’un développeur talentueux, Jean-Michel Cambot, qui permettrait à tout employé d’extraire facilement les données du système d’information de l’entreprise ; elle n’existait pas sur le marché mais nous savions qu’elle répondrait à un besoin des entreprises au plan mondial. Cela étant, passer de l’idée griffonnée sur un coin de table à la réalité opérationnelle est difficile. De plus, nous nous attaquions à des géants du secteur, souvent américains, et notre idée n’était pas vraiment à la mode dans la Silicon Valley. C’était à nos yeux une raison supplémentaire pour foncer. Les professionnels du secteur nous regardaient avec de grands yeux ! Mais nos convictions étaient plus fortes que leurs doutes. Nous avons lancé BO dans un petit bureau de 10 m² à Courbevoie. C’est amusant, car en regardant l’histoire on constate que nombre d’entreprises, aujourd’hui leaders mondiaux, ont souvent commencé dans un petit atelier ou dans une remise au fond d’un jardin. Renault, Michelin, Hewlett-Packard en sont quelques exemples.
GPO Magazine : Mais de la vision au succès, le chemin était encore long…
D.P. : Dès le départ avec Bernard Liautaud, nous savions qu’il nous fallait viser le monde. Une réussite juste française était simplement impossible ; nous aurions alors été rapidement balayés par une major américaine qui aurait vu l’opportunité de ce segment de marché avec plus de moyens que nous n’en avions à l’époque. Il nous fallait aller vite, très vite et voir grand.
GPO Magazine : Mais étiez-vous sûrs que votre produit était le meilleur ?
D.P. : Un adage circule dans la Silicon Valley : « ce ne sont pas les meilleurs produits qui gagnent mais ceux qui ont le marketing le plus pertinent, ceux qui développent les meilleurs process de commercialisation… ». En réussissant à vendre un logiciel français aux Américains, nous avons démontré que nous étions capables de nous adapter en devenant nous-mêmes un peu Américains. Ayant vécu quelques années aux États-Unis, mon associé aussi, nous avions un avantage. Nous avons trouvé les moyens financiers, recruté des collaborateurs compétents partout dans le monde, nous les avons formés, leur avons fait confiance. Dans chaque pays, nous recrutions un tandem de départ composé d’un ingénieur et d’un manager marketing ; chaque choix d’embauche était un pari mais tous se sont avérés gagnants… les hommes toujours les hommes ! Les solutions logicielles BO ont été achetées par des sociétés du CAC 40, par la Nasa, Disney, Texas Instruments, Harvard, Stanford, etc ! Constater que des Français étaient capables de vendre à des Américains … quel bonheur, quel moteur, quelle fierté ! Waouhhh… ! (grand sourire – ndlr).
GPO Magazine : Est-ce la fierté d’être Français qui pousse ici sa corne ?
D.P. : Voir dans les yeux de mes interlocuteurs et clients étrangers le respect et l’admiration en découvrant ce que nous étions capables de faire…oui, j’en suis très fier. Pour revenir à la réussite, on constate qu’elle est la conséquence d’une succession de décisions et d’exécutions opérationnelles qui permettent de transformer une vision en œuvre concrète. Cela a été le cas pour BO mais aussi pour Kiala, une société que j’ai créée en Belgique, qui a développé un concept innovant dans la logistique pour la livraison de colis via des points relais.
GPO Magazine : Mais d’où vous vient cette rage d’entreprendre ?
D.P. : Sans doute de mon milieu familial. Originaire de Lyon, une ville historiquement dynamique qui affiche une tradition d’innovation, mes arrière- grands-pères et grands-pères étaient des industriels dans la soierie. Au début du XXe siècle, ils exportaient dans le monde entier. Mon arrière-grand-père a affrété un train, rempli d’échantillons de soierie lyonnaise, et traversé le Canada d’est en ouest par le Trans Pacific Railway qui venait d’ouvrir. Quelle aventure pour l’époque ! Elle m’a fait rêver et a nourri mon enfance même si l’entreprise a fini par déposer le bilan au moment de la grande crise des années 30. J’ai une autre anecdote ! Lorsque j’avais douze ans, un voisin dont le grand-père était Louis Lumière, m’a donné un tout petit bout de pellicule de 4 ou 5 images du tout premier film jamais tourné au monde. En creux, ce voisin m’a finalement délivré un message « …mais pourquoi ne pas partir toi aussi un jour à la conquête du monde avec tes idées innovantes…tu peux le faire ». J’ai donc eu très tôt la conviction que moi aussi je ne devais douter de rien. L’environnement culturel a donc joué un grand rôle dans ma vie. C’est d’ailleurs ce que je reproche aujourd’hui à nos dirigeants.
GPO Magazine : Que voulez-vous dire ? Parleriez-vous maintenant de politique ?
D.P. : Notre environnement et les messages diffusés par nos dirigeants et par les médias n’encouragent pas à développer la volonté d’entreprendre, l’esprit de conquête, l’innovation. On stigmatise l’entrepreneur qui réussit, sans reconnaître sa performance, son courage, sa pugnacité. En 1996, aux USA, je suis élu Entrepreneur de l’Année avec mon associé aux côtés de Jobs et Spielberg, ce qui n’était jamais arrivé à un Français, ni même à un Européen. À la même période en France, je suis fiscalement traité comme un paria par le gouvernement Juppé ! Là, le ciel me tombe sur la tête ! Avec l’ISF déplafonné, on me demande de régler un impôt sur un patrimoine virtuel qui pouvait ne rien valoir du jour au lendemain, au point de risquer d’être en faillite personnelle à tout moment… Je réalise alors que la fiscalité française est folle et punitive pour ceux qui ont le malheur de réussir. Dans ces conditions, comment voulez-vous donner envie aux talents de réussir en France ou aux volontés de prendre des risques ? C’est tout simplement impossible. Cette pression fiscale considérable touche tout le monde, mais spécialement l’entreprise. Il faut réaliser que l’État français prélève d’une façon ou d’une autre sur les entreprises de l’ordre de 17 % du PIB, alors que la moyenne européenne est de 12 %. Conséquence : nos entreprises sont les moins rentables d’Europe. Elles n’ont plus les moyens de financer leur croissance, d’exporter, d’ouvrir des filiales à l’étranger, etc. Elles ne génèrent plus de cash-flow suffisant pour y parvenir. De surcroît, la France croule sous sa complexité administrative. Une étude du World Economic Forum révèle que, sur les 149 pays étudiés, la France se situe entre l’Angola et la Birmanie. Triste constat. Et le plus terrible, c’est que ce sont nos ETI* les plus pénalisées, ces entreprises qui précisément sont le socle du succès allemand. Deux chiffres pour illustrer mon propos : 12 000 ETI en Allemagne, 4 500 en France. No comment !
GPO Magazine : À quoi attribuez-vous la responsabilité de cette situation ?
D.P. : Nos dirigeants politiques n’ont malheureusement, pour la plupart, jamais vécu dans une entreprise de leur vie. Ce sont des politiciens de carrière. Par ailleurs, nous avons d’excellents fonctionnaires, mais ils sont trop nombreux en politique et, eux non plus, ne connaissent pas suffisamment l’entreprise.
GPO Magazine : Ces différents constats sont-ils à l’origine de la mouche qui vous a piqué pour rentrer en politique ?
D.P. : Mon réveil citoyen date de 1997, l’année où le ciel me tombe fiscalement sur la tête ! J’ai découvert la classe politique à cette époque là. Je suis allé la voir, au titre de CroissancePlus, en demandant à tous s’ils se rendaient compte de ma situation et de celle de mon entreprise menacée de faillite suite à une loi inadaptée. Réponse « … mais on ne peut rien faire…les Français ne comprendraient pas… et puis bientôt il y a des élections… ». Une seconde mouche m’a piqué, en 2013 lorsque j’ai vendu Kiala à UPS. J’étais encore manager de l’entreprise en assumant la transition, mais j’avais libéré un peu de temps. J’ai donc rencontré différents groupes : des associations de cadres, des étudiants et même des mères de famille. Je leur parlais entreprise, innovation…mais ils me répondaient… situation du pays ! Ils savaient que j’étais impliqué dans CroissancePlus ou dans les Pigeons… c’était donc cela qui les intéressait. Ils étaient très inquiets et me demandaient comment nous allions nous en sortir.
GPO Magazine : C’est la raison pour laquelle vous avez créé « Nous Citoyens » ?
D.P. : Je me suis posé une grande question. Faut-il atteindre le fond avant de commencer à remonter ? Non, certainement pas ! Cela signifierait que les créanciers du pays ne nous prêteraient plus à des taux acceptables, qu’ils nous imposeraient de licencier 500 000 ou 600 000 fonctionnaires en trois ou six mois… « Nous Citoyens » veut créer une 3e voie, raisonnable au plan des valeurs républicaines et européennes. L’Europe est à l’arrêt, mais elle est incontournable, il faut simplement la remettre en marche… L’UE fait la paix mais elle fait aussi la force sur un certain nombre de sujets. « Nous Citoyens » est aussi un mouvement humaniste. Nous plaçons authentiquement l’être humain au cœur de toutes les propositions que nous élaborons, nous voulons réconcilier solidarité et prospérité. Je suis certain que c’est possible.
GPO Magazine : Votre solution ?
D.P. : Aujourd’hui, nous assistons à une pseudo- solidarité ; nos dirigeants politiques doivent montrer l’exemple. Des personnalités politiques de premier plan partent à la retraite à 50 ans après une carrière dans l’administration : est-ce acceptable ? Mais surtout, il faut favoriser toutes les formes d’entrepreneuriats, uniques sources de création massive d’emplois…du petit commerce ou de l’artisan de quartier jusqu’à celui qui part à la conquête du monde dans les nouvelles technologies. Tous ces gens là, il faut arrêter de les stigmatiser, de leur mettre des bâtons dans les roues. Ce n’est quand même pas compliqué ! Nombre d’enquêtes révèlent que plus de 90 % des Français ne font plus confiance aux politiques, alors que 85 % font confiance aux entrepreneurs. Le chemin à suivre n’est-il pas limpide ?
GPO Magazine : Un espoir ? Un objectif ?
D.P. : L’espoir : faire de « Nous Citoyens » un grand mouvement qui est devenu en huit mois le 9e mouvement politique français. L’objectif : prendre un jour le pouvoir pour permettre à notre pays de valoriser son formidable talent et retrouver la croissance, le plein emploi, la fierté d’être Français et la capacité à vivre ensemble… Nous pouvons changer le pays.
GPO Magazine : Votre épilogue ?
D.P. : Je suis un homme libre. Mon refuge qu’est la passion de la voile en est le symbole (l’homme a traversé l’Atlantique – ndlr). Lorsque je quitte le port à la barre de mon bateau, jamais je n’éprouve plus grand sentiment de liberté et de choix du cap à suivre. Les grandes lignes de ma vie relèvent de ce sentiment.
Propos recueillis en entretien par Philippe DERMAGNE
*Entreprise de Taille Intermédiaire (50 à 250 M€ de CA)