Damien Bodoy, Directeur général de Lacroix Sports : un dirigeant à la fois sur les pentes et sur les « greens »

Après une formation à l’Institut d’Administration des Entreprises (IAE) de Lyon, Damien Bodoy débute sa carrière en 1998 au sein de la banque Indosuez, puis en 2022 il rejoint Lazard Frères Gestion en tant que Banquier privé. En septembre 2015, il devient Senior Advisor chez 123 Investment Managers dans la région de Lyon. Concomitamment, il crée 936 Raisons d’Investir, une société investissant dans l’immobilier, mais qui prend aussi des participations dans le tourisme, la boulangerie, les travaux publics, le recyclage de déchets… Enfin, en 2022, l’aventure entrepreneuriale commence véritablement avec le rachat de la marque Lacroix Sports.

Du fait d’une succession de repreneurs, l’entreprise a fini par devenir plus confidentielle tout en gardant une forte notoriété. C’est ce qui a convaincu le duo de dirigeants Damien Bodoy, directeur général et Günther Doll, CEO, ancien skieur de haut niveau passé par Oxbow et Mercedes, de reprendre cette entreprise emblématique.

GPO Magazine : Comment s’est effectué votre passage de la banque d’affaires à l’entrepreneuriat ?

Damien Bodoy : Il s’est fait naturellement car j’avais déjà créé dans le passé des sociétés dans le financement de matériel. En effet, en 2011, en pleine crise financière, j’ai rencontré des boulangers qui avaient du mal à se financer. À ce moment-là, j’ai monté ma première entreprise en réunissant des amis, en mettant personnellement des fonds destinés aux personnes à qui des banques ne voulaient pas octroyer de prêts. Au début, c’était du bricolage et cela s’est accéléré après mon départ de Lazard. En 2015, j’ai rejoint un fonds d’investissement, 123 Investment Managers, qui investit dans des PME.

Aujourd’hui, j’ai placé des capitaux dans différents secteurs, notamment les andouillettes Bobosse, Tourisme Participation (bateaux sur le lac d’Annecy et Aix-les- Bains). Avec l’un de mes associés, nous avons acheté des boulangeries à la barre du tribunal et investi également dans des sociétés de recyclage de déchets. Parallèlement, j’ai rencontré Günther Doll, nous avons décidé d’unir nos forces, et nous avons racheté Lacroix Sports en 2022, en vue de diversifier la marque pour la « désaisonnaliser ». Nous voulions à tout prix ne pas dépendre uniquement du ski, et ce d’autant que durant l’année 2020, la crise sanitaire de la Covid a entraîné la fermeture des domaines skiables.

GPO Magazine : Pouvez-vous nous présenter Lacroix Sports ?

Damien Bodoy : Notre cœur de métier est la vente de skis (skis polyvalents reconnus pour leur technicité et leur confort), mais également les accessoires (masques, gants, bonnets…) et les vêtements femmes et hommes haut de gamme (Sweats, Teeshirts, polos, pulls et pantalons en cachemire, fourrures…) à porter aussi bien en ville que sur les pistes, ainsi que les Space LX, une paire de Snowboots en cuir vegan. S’agissant des skis, la marque Lacroix Sports figurait parmi les plus recherchées de l’histoire du ski mondial. Désormais, notre position – nement est celui de la vente de skis dont le prix public avec fixations va de 1 100 – 2 200 euros jusqu’à 8 500 euros pour les skis Ultime.

Mais l’avenir de Lacroix Sports s’inscrit également avec le golf, notamment la vente de trois « putters » haut de gamme, avec le projet de démarrer une gamme textile adaptée au golf dès le printemps prochain.

Enfin, Lacroix Sports s’ouvre bientôt, après la phase de test, au marché du nautisme avec la mise au point d’un e-foil, une planche de surf électrique en carbone qui peut atteindre 25 km/h et donne la sensation de voler sur l’eau grâce à une aile profilée. Nous avons un réseau de revendeurs et nos ventes se font également sur le digital. Et il nous arrive d’effectuer des collaborations avec des concessionnaires automobiles tels que Porsche, ou des agences immobilières de renom comme Barnes, afin de nous aider à promouvoir nos produits.

GPO Magazine : Au-delà de la forte notoriété de Lacroix Sports, qu’est-ce qui vous a convaincu avec Günther Doll de racheter cette entreprise ?

Damien Bodoy : Effectivement, la forte notoriété nous a convaincus de racheter Lacroix Sports, tout comme le potentiel de développement de cette marque. Nous nous sommes aperçus que des marques de luxe vendaient des produits lifestyle mais que ces mêmes marques n’étaient pas sur le marché du sport. Et nous nous sommes dit qu’il y avait une place à jouer dans cet univers, même s’il y a des gens qui font du « ski-bashing » et considèrent qu’il n’y aura bientôt plus de neige. Il existera toujours une clientèle dési – rant skier en haute altitude avec du beau matériel. Nous considérons que prendre cette place est un challenge et qu’il faut y aller.

GPO Magazine : Comment s’est effectuée la transition lors de la reprise de Lacroix Sports ?

Damien Bodoy : Il a fallu réveiller « la belle endormie » ! Bien sûr, avec notre pôle d’investisseurs, mais surtout avec Günther car nous sommes inspirés par certaines renaissances. Désormais, nous essayons de faire rayonner la marque au travers d’« ambassadeurs », comme de jeunes moniteurs de ski qui ont la connaissance technique et nous accompagnent afin de diffuser la marque. Nous équipons également des personnalités comme Denis Brogniart qui utilise nos skis de randonnée.

L’histoire de Lacroix Sports a commencé avec Léo Lacroix, qui était un champion de ski avec un parcours hors normes, et elle doit se poursuivre avec d’autres ambassadeurs qui vont prendre le relai. Nous voulons faire renaître cette marque.

GPO Magazine : Günther Doll a indiqué : « je veux qu’il (Léo Lacroix) soit fier de tous les produits que l’on sort. Du coup, on met la barre haute ». Est-ce que vous comptez conserver l’ADN et le savoirfaire de cette marque prestigieuse ?

Damien Bodoy : Bien sûr, depuis le rachat de Lacroix Sports nous cherchons à tout prix à conserver et à développer l’ADN et le savoir-faire de cette entreprise. Léo Lacroix a 87 ans cette année et on échange avec lui et sa famille. On aimerait bien qu’il écrive son histoire vraiment extraordinaire. C’est une légende du ski qui a côtoyé les grands de ce monde, mais il est resté modeste et discret. Il a été un sportif de haut niveau mais également un entrepreneur chevronné. Bien qu’il ait vendu son entreprise il y a 30 ans, il y est attaché, et je crois qu’il est heureux que nous ayons repris sa société.

GPO Magazine : Quelles sont les valeurs qui animent votre entreprise ?

Damien Bodoy : Ce sont des valeurs telles que l’excellence et la passion. Mais aussi la loyauté et l’engagement avec nos clients qui nous ont fait confiance dès le début. Nous veillons à ce que nos clients inter – médiaires et finaux soient satisfaits à 100 %, et retiennent le plaisir qu’ils peuvent tirer de nos skis. La notion de plaisir est fondamentale car nous aimons ce sport, mais il faut également que nos clients se sentent en sécurité.

Par ailleurs, nous ne sommes pas dans le Bling-bling : certains skis du temps des équipes précédentes à 40 000 euros ont fait beaucoup parler d’eux mais ils ont rendu la marque inaccessible. Nous ne voulons surtout pas retourner dans cet univers.

GPO Magazine : Vous vous diversifiez avec d’autres produits d’exception, quelle est exactement votre stratégie dite des « quatre saisons » ?

Damien Bodoy : Nous souhaitons diversifier la marque pour la « désaisonnaliser ». Nous nous ouvrons ainsi à de nouveaux marchés tels que le golf, et dans un avenir proche le nautisme. Nous voulons accompagner nos clients qui font du ski l’hiver et du golf au printemps, en automne et en été. Nous cherchons à les suivre là où ils sont : nous avons eu des commandes pour des resorts en Espagne et ailleurs.

GPO Magazine : Avec cette stratégie de diversification, est-ce que le risque n’est pas de « sacrifier » l’héritage de Léo Lacroix ?

Damien Bodoy : Absolument pas car Léo Lacroix est un dingue de golf et un excellent joueur. C’est pour cette raison que diversifier la marque avec le golf est complètement légitime. Il a une grande aura dans l’univers du golf, et il est connu pour sa qualité de jeu et sa gentillesse. Léo est un Jurassien avec toutes les valeurs de travail, d’endurance et d’honnêteté que cela implique… Le Jura est une terre froide et on n’a pas le même sens de l’effort qu’ailleurs. On dit même que dans l’adversité, le Jurassien a une combativité que d’autres n’ont pas. Nous avons conscience de ce bel héritage et nous ne sommes pas prêts à le sacrifier.

GPO Magazine : Interrogé sur la problématique du changement climatique, l’un de vos concurrents a déclaré récemment : « il n’y a pas d’impact immédiat pour notre société, c’est-à-dire dans les vingt ou trente prochaines années. Notre chiffre se fait dans les stations les plus hautes où le ski sera encore possible longtemps ». Les bouleversements climatiques sont-ils un sujet d’inquiétude pour Lacroix Sports ?

Damien Bodoy : Bien sûr, le réchauffement climatique est un sujet d’inquiétude avec le recul des glaciers, la fragilisation du pergélisol et le manque de neige à certaines périodes. Pour autant, nous avons encore de la visibilité mais nous voulons « désaisonnaliser », ce que d’ailleurs certains de nos concurrents ont déjà fait. Il faut être très lucide : demain, il y aura des phénomènes climatiques plus compliqués à gérer que dans le passé, mais il faut s’adapter et ne pas rester inactif.

GPO Magazine : Dans les années à venir, mis à part le réchauffement climatique, quels grands défis devrez-vous affronter ?

Damien Bodoy : À mon sens, la difficulté actuelle est de trouver des hommes et des femmes prêts à s’engager pour fabriquer des produits d’excellence. Depuis la Covid, ce n’est pas évident de trouver des collaborateurs qui s’engagent à fond. On le voit dans nos unités de production et d’ailleurs, ce n’est pas un sujet qui touche que la France.

En ce qui nous concerne, nous nous investissons énormément dans cette entreprise, et en particulier Günther qui n’arrête jamais. Il faut gérer la production, la logistique, le design… il faut tout gérer lorsque l’on est aux commandes d’une entreprise. Pour autant, nous avons la chance de travailler dans un secteur où l’univers est plutôt sympa et attirant pour les jeunes.

GPO Magazine : Quels sont vos objectifs commerciaux tant en France qu’à l’international ?

Damien Bodoy : Nous commençons à exporter en République Tchèque, en Italie et en Corée. Jérôme Noviant, qui était en Équipe de France et a passé 30 ans chez Rossignol, nous a rejoint en qualité de « Sales Manager », et va nous aider à structurer notre offre commerciale dans les principaux pays comme les États-Unis, le Canada, le Japon et l’Europe de l’Est. Notre objectif est d’atteindre 50 % de notre chiffre d’affaires hors skis, mais également 50 % de notre chiffre d’affaires à l’international, et ce sur un horizon de 3 ans. Nous sommes actuellement en mode « start-up » et nous redémarrons de zéro, nous voulons donc, dans un premier temps, stabiliser l’entreprise et la structurer.

GPO Magazine : Est-ce que les Jeux olympiques Paris 2024 d’été, et d’hiver en 2030, sans doute dans les Alpes françaises, représentent une opportunité supplémentaire pour Lacroix Sports ?

Damien Bodoy : Concernant les Jeux olympiques 2024, cela est trop juste pour nous. Mais en 2030, les Jeux Olympiques d’hiver représenteront certainement une opportunité. Entre-temps, nous aurons deux autres sujets : les 60 ans de Portillo 66, où Léo Lacroix a fait des étincelles, et 2027 qui représenteront les 60 ans de la marque. Certains nous parlent également des Jeux asiatiques d’hiver 2029 en Arabie Saoudite… Alors, on ne va certainement pas bouder notre plaisir concernant tous ces Jeux qui pointent le bout de leur nez. Et y aller à notre façon, c’est-à-dire « tout schuss » !

GPO Magazine : Comment vous ressourcez-vous en dehors de votre entreprise ?

Damien Bodoy : Il faut d’abord savoir éteindre le téléphone. J’ai un grand besoin de pratiquer du sport, de prendre l’air tout simplement en faisant des « road-trips » à vélo, du ski, des randonnées en raquettes… En fait, d’être dans la nature sans oublier de se faire plaisir. On n’a qu’une vie ! Mais je ne fais plus du ski par tous les temps, notamment lorsque les pistes sont verglacées, car il y a un risque de se faire mal inutilement.

Chiffres clés 2023 de Lacroix SportsLacroix Sports

  • Nombre de points de vente en France : 44
  • Commercialisation avec des partenaires tchèques, italiens et coréens
  • Nombre de collaborateurs : 6 + des prestataires externes

 

 

 

 

 

 

Linda Ducret

Linda Ducret a une double formation : littéraire (hypokhâgne, licence de philosophie) et juridique (maîtrise de droit des affaires, DESS de Contrats Internationaux). En 1987, elle devient avocate et crée son cabinet en 1990. Elle exerce pendant 15 ans dans différents domaines du droit (droit des affaires, droit pénal, droit de la famille…). Depuis 2005, elle est journaliste avec comme terrains de prédilections : les dossiers stratégie du dirigeant, propriété intellectuelle, nouvelles technologies, Incentive...Mais également les visions et les portraits d’entrepreneurs. Écrire est l’une de ses passions. En 2009, elle publie un roman policier Taxi sous influence, finaliste du Prix du Premier roman en ligne. Elle a publié un recueil de nouvelles : Le Ruban Noir ainsi qu’un polar : L’inconnue du Quai Henri IV.

Du même auteur

Bouton retour en haut de la page

Adblock détecté

S'il vous plaît envisager de nous soutenir en désactivant votre bloqueur de publicité