Congés payés et arrêt maladie : le Conseil Constitutionnel fait la passe au législateur

En jugeant les dispositions du droit français relatives à l’acquisition de congés payés pendant l’arrêt maladie conformes à la Constitution, les Sages ne règlent pas le feuilleton, mais donnent plus de latitude au Gouvernement dans sa réforme à venir…

Non-conformité du droit français au droit de l’Union européenne

En droit français, le salarié acquiert des congés payés en cas de travail effectif, les périodes suivantes n’étant pas considérées comme telles :

  • Arrêt maladie d’origine non-professionnelle
  • Arrêt maladie d’origine professionnelle (accident du travail ou maladie professionnelle supérieur à un an (pendant la première année d’arrêt le salarié acquiert en revanche des congés).

La jurisprudence européenne de la Cour de justice (CJUE) considère, sur le fondement du droit à la santé et à la sécurité du travailleur, que le droit à congé ne peut être subordonné par un État membre à l’obligation d’avoir effectivement travaillé.

En d’autres termes, le droit français n’est pas conforme au droit de l’UE.

Le 13 septembre 2023, la Cour de cassation a tiré les conséquences de l’inertie du législateur à modifier les textes, notamment en écartant l’application des dispositions non conformes de ceux-ci, en matière de maladie professionnelle et non-professionnelle.

Une insécurité lourde de conséquences

Pour autant le droit européen n’impose pas une acquisition de congés payés pendant l’arrêt maladie sans aucune limite. D’une part, il se fonde sur des règles imposant un congé annuel de 4 semaines (contre 5 en France) ; d’autre part, il juge certaines limites de report comme conformes au droit au repos.

Les employeurs se trouvent donc depuis les arrêts de la Cour de cassation dans une position très inconfortable pour le passé et le futur :

  • continuer d’appliquer la loi, en sachant qu’elle est susceptible d’être écartée, et prendre le risque d’une condamnation
  • ou considérer que le salarié en arrêt doit acquérir des congés payés… sans pour autant connaître les modalités et limites d’une telle acquisition !

Une situation loin d’être neutre, notamment pour les TPE et PME dont l’un ou plusieurs des salariés seraient en arrêt de longue durée, et sur lequel le Gouvernement a d’ores et déjà annoncé qu’il allait intervenir.

La balle était dans le camp du Conseil Constitutionnel…

En parallèle, le Conseil Constitutionnel a été saisi du sujet, sur le fondement cette fois de la conformité des règles françaises à la Constitution qui garantit, tout comme le droit européen, le droit au repos.

Sa décision était particulièrement attendue une censure des textes aurait eu pour effet de les abroger, ce qui a une conséquence plus directe qu’une non-conformité communautaire (les juges français ayant toujours la possibilité de « résister » à la jurisprudence de la Cour de cassation, ce qui n’est pas le cas si les textes n’existent tout simplement plus…

Aussi, une décision d’abrogation aurait établi certains principes imposant au Gouvernement un cadre plus contraint et une moindre marge de manœuvre dans sa proposition de réforme.

L’on comprend, dans ce contexte, l’intense lobbying auquel se sont livrées les organisations syndicales et patronales…

… qui temporise…

Dans leur Décision du 8 février 2024, les Sages ont considéré que le droit français est conforme à la Constitution.

  • D’une part, que si le droit à congés payés est un pilier du droit au repos garanti par la Constitution, le Conseil ne peut se substituer au législateur pour atteindre les objectifs que celui-ci se fixe.Il estime donc qu’« Au regard de cet objectif [que le législateur s’est assigné, c’est-à-dire éviter que le salarié en maladie professionnelle perde de surcroît son droit au repos], il était loisible au législateur d’assimiler à des périodes de travail effectif les seules périodes d’absence du salarié pour cause d’accident du travail ou de maladie professionnelle, sans étendre le bénéfice d’une telle assimilation aux périodes d’absence pour cause de maladie non professionnelle. Il lui était également loisible de limiter cette mesure à une durée ininterrompue d’un an ».
  • D’autre part que le fait de ne pas prévoir les mêmes modalités d’acquisition pour les salariés en maladie professionnelle ou non-professionnelle n’est pas contraire au principe d’égalité, puisque « La maladie professionnelle et l’accident du travail, qui trouvent leur origine dans l’exécution même du contrat de travail, se distinguent des autres maladies ou accidents pouvant affecter le salarié ».A noter que la différence entre les deux régimes qui existe par ailleurs pour d’autres sujets (indemnisation, garantie d’emploi…). Une abrogation de la loi sur ce fondement aurait sans doute pu avoir des répercussions très lourdes sur d’autres sujets, et les Sages se sont montrés heureusement pragmatiques.

… et passe au législateur

La non-conformité au droit de l’Union subsiste, de sorte que cette décision de conformité ne règle aucunement la question, et que le législateur doit quoiqu’il arrive prendre ses responsabilités.

Toutefois, le Conseil Constitutionnel a, par sa décision, permis à celui-ci de disposer de plus de latitude dans la détermination des solutions qui lui semblent les plus appropriées, telles qu’évoquées par le Gouvernement, comme le plafonnement de l’acquisition de congés à 4 semaines par an en cas d’arrêt maladie, ou encore la limitation dans le temps du report – ou de l’indemnisation – des congés.

Affaire – toujours – à suivre, donc !

Par Jacques Perotto, avocat associé et Maxime Hermès, counsel – cabinet Alerion

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