Les nouveaux enjeux du commerce intelligent
Le « commerce connecté » n’est plus, vive le commerce intelligent ! J’entends par là qu’aujourd’hui, ce n’est plus le commerce qui est connecté, mais le client. Un client de plus en plus acteur, influenceur et expert mais aussi zappeur, exigeant et infidèle. Il attend de ses marques fétiches qu’elles soient ubiquitaires, capable de communiquer avec lui n’importe où, n’importe quand et via n’importe quel point de contact, et toujours de manière fluide, frictionless, cohérente, authentique mais surtout personnalisée.
L’enjeu du commerce n’est donc plus simplement d’être connecté – c’est désormais un minimum – mais d’être intelligent, avec une proposition de valeur hyper adaptée à son public. Dans un contexte très concurrentiel et économiquement tendu, nous ne sommes clairement plus dans une démarche de volume. Cette logique du moins – moins acheter, moins consommer – doit sans conteste appeler une logique du mieux, en nous appuyant notamment sur les innovations technologiques. Et c’est dans ce mieux que réside tout l’enjeu du succès du commerce qu’on appelle intelligent.
Parmi les grands enjeux qui conduisent actuellement le commerce, j’identifierais :
> Le prédictif. Aujourd’hui, le machine learning, le trigger marketing et le développement de l’utilisation des algorithmes permettent aux enseignes d’aller un cran plus loin dans leur relation clients en anticipant les besoins des consommateurs et les parcours d’achat. Regardez Amazon qui prétend préparer les commandes de produits qui ne sont pas encore achetés par les clients. Les startups s’emparent également du sujet, à l’image de SmartBe.IO, qui présentera en octobre, sur le salon ≠conext, SmartBe, une solution e-commerce intelligente, prédictive et cognitive développée pour Bricomarché et qui propose aux visiteurs le meilleur article en fonction de leurs goûts et de leur personnalité. Tout cela grâce aux datas collectées sur les réseaux sociaux et professionnels et aux critères environnementaux tels que la météo, la géolocalisation…
> L’intelligence artificielle, avec l’arrivée des agents conversationnels, ces fameux chatbots capables de simuler une conversation avec un ou plusieurs humains par échange vocal ou textuel. Les récents progrès permettent d’aller encore plus loin dans la démarche. Ainsi, les startups Phoceis et Nuukik ont développé Jardus, un projet visant à extraire ces chatbots des outils de messagerie traditionnels sur smartphone pour leur donner vie sous la forme d’un avatar présent sur l’écran d’un robot mobile. Avatar avec lequel il sera possible de converser en langage naturel afin qu’il aide le client dans son parcours : localisation de magasins, recherche de produits, de restaurants…
> La réalité augmentée. Un sujet dont on parle depuis quelques années mais qui revient actuellement en force, avec des nouveaux usages plus pertinents, grâce à la techno qui a gagné en maturité. Voyez par exemple the Designer Assistant de La Redoute, qui permet de tester, en direct, votre nouveau meuble en l’intégrant dans votre intérieur grâce à la réalité augmentée et la nouvelle technologie Tango.
> La data. Au cœur de tous les dispositifs, la data est, comme le dit Google, une valeur cardinale de l’entreprise. Notre monde est gouverné par la data. Chaque action réalisée – « je consulte », « je clique », « j’achète », « je lis », « je donne mon avis », « je note » – implique en contrepartie une collecte et une utilisation de ces données, avec le consentement de l’internaute bien sûr. D’où l’importance de prendre conscience que c’est le sens qu’on donne à ces données qui est important. Le data-driven marketing, éclairé et objectivé par les données récoltées, doit être à la fois pertinent, onboardé et transactionnel plus que démographique, c’est-à-dire davantage liée aux achats réalisés qu’à des informations telles que l’âge ou la ville de résidence. La data aussi est devenue plus intelligente.
> Le mobile. Nous sommes sans conteste à l’ère du mobile first. Tout commence par lui : on commence sa recherche de produits avec son smartphone – n’oublions pas que 60% du trafic internet est mobile – mais c’est aussi le mobile à l‘intérieur du magasin. Il permet de consulter les avis, de comparer les prix et bien sûr de payer. Limpidius travaille pour Bricomarché à un projet très intéressant, qui permet d’étendre à des points de vente physiques des services jusqu’alors réservés aux e-clients. Le principe : un ticket de caisse dématérialisé et shooté en live sur son smartphone. L’innovation consiste à proposer un mode de lecture « smart », porte d’entrée vers un univers 100 % omnicanal, où les items produits deviennent cliquables. Le client peut alors accéder aux fiches produits, mais aussi noter et sélectionner les produits afin de commencer son prochain panier drive.
> Le pouvoir des push notifications, qui peuvent aussi bien alerter sur de nouveaux contenus, relancer sur un panier en attente ou envoyer des offres et des alertes géolocalisées, ce qui, dans ce cas, répond bien à la demande de personnalisation du client. Si les push notifications permettent d’encourager l’usage d’une application mobile, attention à l’aspect intrusif pour l’utilisateur. Nous entrons là dans la notion de permission, chère à mes yeux et qui sera abordée un peu plus loin.
> L’émergence des univers logués, sujet dont on va beaucoup entendre parler ces prochains mois. Les fameux cookies développés dans les années 90, sujets à controverse et qui permettaient de stocker des données utilisateurs, pourraient disparaître prochainement au profit des E-ID log. Il s’agit de passer d’une logique d’identifiant client, relié à des données sociodémographiques ou transactionnelles, à une logique d’ID log, avec des données comportementales collectées par des publishers de contenus – réseaux sociaux, blogs, journaux… Parce que l’on révèle beaucoup plus de soi sur Facebook, à travers ses avis, ses likes ou ses commentaires qu’en s’inscrivant classiquement, ces données « log in » permettraient de récupérer 50 fois plus de données qu’avec un ID traditionnel. Et c’est toute la stratégie CRM qui s’en trouve bouleversée.
> L’expérience client, qui se doit d’être au cœur de la stratégie. L’expérience client sous-entend être capable de mettre en perspective, d’un bout à l’autre du cycle d’usage de produit, l’ensemble des points de contact entre la marque et le client, et d’identifier, sur cette frise, ce qui peut être amélioré. Que puis-je faire pour rendre le parcours client plus fluide, plus personnalisé, plus agile ? C’est tout le sujet de l’« user experience », autre grand enjeu du commerce.
> L’émergence de l’économie circulaire. Pour beaucoup de consommateurs, il est désormais essentiel d’utiliser des produits en boucle afin de produire biens et services en limitant au maximum le gaspillage. Avec l’économie circulaire vient la nécessité pour les marques de se positionner sur le contenu, le story telling. Quelle histoire raconter sur ce que je vends afin de donner du sens ? La marque doit avoir quelque chose à raconter sur la dimension durable. Ce discours de marque est d’autant plus important, et fragile, qu’il est désormais davantage relayé par les clients que par la marque elle-même.
Toutes ces innovations dans le commerce, toute cette personnalisation va remettre au centre les responsabilités des collecteurs de données. Et c’est là qu’intervient la notion, tellement importante, de permission, renforcée par le législateur et son GDPR (General Data Protection Regulation) le nouveau texte de référence européen, prévu en mai 2018, qui vise à renforcer la protection des données. A nous d’autoriser la marque à nous parler, ou pas, et de déterminer la fréquence des interactions. Sans nul doute un sujet sensible, car aujourd’hui le consentement que donne l’internaute à Facebook ou Google est un consentement global.
Tous ces nouveaux enjeux résument à mon sens les grandes tendances du commerce. Sans oublier bien sûr la notion d’humain, indissociable de l’évolution du commerce. Toutes ces initiatives, aussi pertinentes et innovantes soient-elles, ne peuvent vivre sans nous. Les nouvelles techno rendent le vendeur plus « intelligent », dans le sens plus agile, plus prescripteur, plus intuitif, à condition qu’il reste au cœur des nouveaux usages. Tout cela afin de proposer une meilleure expérience au décisionnaire final : le client.
Par Didier Farge, Président de Conexance et du salon #Conext