Adapter les outils technologiques à l’utilisation de l’IA

Le recours aux technologies d’intelligence artificielle ne s’improvise pas, loin s’en faut. Il nécessite de bien en appréhender les enjeux, de penser stratégie et de s’inscrire dans une démarche projet. La mise en place de l’IA, au-delà de bouleverser, peut en effet impacter les systèmes d’information en place.
La principale difficulté de l’intégration de l’IA dans l’entreprise ne vient pas tant du budget ou des ressources disponibles (même s’il s’agit là de deux éléments indispensables à ces projets), mais avant tout du manque de visibilité sur les outils à mettre en place et les résultats qui peuvent en être attendus.
Une démarche qui nécessite donc avant tout que l’entreprise réfléchisse et mette en place une véritable stratégie IA. Cette phase préliminaire est l’occasion pour les entreprises de définir les besoins et les objectifs et de réfléchir aux usages qu’elle souhaite faire de l’IA. L’analyse des besoins permet par ailleurs d’examiner la structure coûts-avantages afin d’évaluer la rentabilité des différents outils d’IA.
Dans ce processus, les entreprises doivent prendre en compte non seulement les coûts directs, mais aussi et surtout la valeur ajoutée attendue, par exemple sous la forme d’une amélioration de l’efficacité ou d’une augmentation du chiffre d’affaires. Il convient également durant cette première étape de créer une équipe projet et de mobiliser différentes compétences autour de ce projet.
Par exemple, les métiers pourront être sollicités pour identifier les usages qu’ils auront de l’IA, les équipes IT et Data Scientists contribueront à la création des algorithmes d’IA et les financiers évalueront la faisabilité financière du projet.
Qualifier les données
La mise en place de technologies IA soulève également un enjeu important autour des données. Elles représentent en effet la matière première qui sera utilisée par les moteurs d’IA. Sans elles, les algorithmes ne peuvent ni apprendre, ni s’adapter et encore moins prendre des décisions. Les performances de ces algorithmes sont donc étroitement liées à la qualité des données. Ces dernières doivent être accessibles, qualifiées, à jour et bien organisées. Plus elles sont précises, volumineuses et à jour, plus les modèles d’IA proposeront des réponses et des prédictions exactes.
D’autre part, pour obtenir des analyses et des prédictions pertinentes, il est conseillé de croiser des données internes avec des données externes. Les données internes sont générées et collectées directement au sein de l’entreprise et constituent généralement le socle des projets d’IA, car elles sont spécifiques à l’entreprise, permettent d’en comprendre le fonctionnement et d’identifier les tendances propres à son activité.
Les données externes à l’entreprise permettent pour leur part d’apporter des informations contextuelles qui
vont venir enrichir les analyses. Elles aident à contextualiser une situation, à anticiper des évolutions de marché et à identifier des opportunités ou des risques externes.
Vérifier la compatibilité de ses outils de gestion avec l’IA
Pour tirer toute la quintessence de l’IA, l’évolution des systèmes en place est donc souvent nécessaire. « Cette démarche passe souvent par la modernisation des solutions de gestion tels que les ERP, CRM, solutions de vidéo protection, et autres logiciels de gestion des contenus, afin de mieux intégrer l’IA », explique Jonathan Leyva, PDG de Konica Minolta Business Solutions, société proposant des solutions d’impression, de gestion documentaire et de services IT.
Pour que les entreprises bénéficient de ces services et technologies, leur solution de gestion doit en effet s’appuyer sur une architecture ouverte et évolutive. « Les ERP doivent par exemple pouvoir bénéficier des dernières innovations technologiques telles que les Agents IA, précise Stéphanie Magniez, Sales Consulting Senior Manager chez Oracle. Une évolutivité à laquelle répond par exemple Oracle Cloud ERP qui intègre nativement et sans surcoût de l’IA dans ses « releases » trimestrielles grâce au SaaS public ».
Au travers de ces solutions en mode SaaS public, les entreprises bénéficient en effet d’une solution mutualisée et développée à partir des bonnes pratiques du marché. Cette standardisation leur permet de bénéficier simplement et en quelques heures seulement des mises à jour de l’ERP et de ses dernières innovations technologiques. D’autres éditeurs proposent d’ajouter des briques d’IA.
Mettre en place une plateforme IA
D’autre part, l’IA nécessite et bénéficie grandement d’une meilleure connexion avec les outils, pour une intégration fluide dans les Workflows existants, et pour pouvoir manipuler des données clients dans les cas d’usages IA. À cet effet, les entreprises s’orientent de plus en plus sur la création de plateformes IA d’entreprise, souvent sur la base des solutions proposées par exemple par AWS, GCP ou Microsoft (Azure).
Ces plateformes proposent des modules d’IA, d’IA générative, l’apprentissage automatique (Machine Learning) et le traitement du langage naturel pour développer, déployer et gérer des applications.
« Elles aident les développeurs et les entreprises à créer des solutions alimentées par l’IA plus efficacement, avec une approche structurée et industrielle, et facilitent l’intégration avec le système d’information, précise Julien Kopp, associé chez Deloitte. Elles permettent par ailleurs de connecter progressivement les nouveaux outils d’IA, et en facilitent l’évolution, la supervision et les mises à jour ».
S’assurer des capacités de l’infrastructure informatique à accueillir l’IA
Il est également important d’examiner la compatibilité de la technologie d’IA avec l’infrastructure informatique existante. Si les outils sélectionnés sont incompatibles avec le système existant, cela entraînera des perturbations coûteuses et fastidieuses.
« L’intégration de l’IA pose plusieurs défis aux entreprises et en particulier aux PME/ETI, précise Jonathan Leyva. En effet, les systèmes existants ne sont pas toujours adaptés à l’IA par exemple en termes de capacité de traitement, de stockage des données, de connectivité et d’interopérabilité entre les logiciels métiers et les nouvelles solutions d’IA. Des évolutions sont souvent nécessaires pour optimiser l’usage de l’IA, notamment
en matière de gestion des données et d’infrastructures IT. Les DSI en premières lignes de ces transformations, soulignent souvent un besoin d’investissement en matériel et en formation ».
À cet effet, il convient donc que les entreprises mettent en place ou migrent vers une infrastructure technologique adaptée. « C’est notamment le cas pour les entreprises qui développent leurs propres modèles d’IA, explique Mohamed Belhadji, spécialiste avant-vente serveurs et stockage chez inmac wstore, société spécialisée dans la vente de matériel informatique pour professionnels. Elles vont avoir besoin de capacités d’analyse poussées grâce à des cartes CPU adaptées, et de serveurs dotés de processeurs graphiques (GPU) de dernière génération qui apportent la puissance de calcul nécessaire pour
faire tourner les modèles d’IA de l’entreprise ».
Les principaux fournisseurs de serveurs tels que HPE, Dell ou encore Lenovo ont ainsi fait évoluer leurs gammes de serveurs pour leur permettre d’accueillir plus de GPU, jusqu’à 8 sur les plus récents (contre deux sur les anciennes gammes de serveurs).
« Les entreprises ont également la possibilité de louer des GPU dans le Cloud, ce qui soulève la question de l’hébergement dans le Cloud des données utilisées pour faire tourner les algorithmes d’IA, ce que les entreprises qui développent leurs propres modèles d’IA entendent souvent éviter », ajoute Mohamed Belhadji.
« En bout de chaîne, les PC doivent de leur côté être équipés d’un processeur et d’une carte graphique, mais aussi d’une puce NPU supérieure à 40 TOPS (Tera Operations Per Second) dédiée à l’exécution des tâches IA, indique pour sa part Théodore Blanc, Business Developper chez inmac wstore. Ces puces permettent notamment de faire des requêtes IA en local, sans les envoyer dans le Cloud, et ainsi d’obtenir des réponses plus rapidement et de consommer moins d’énergie. Pour bénéficier de ces technologies, nous conseillons notamment aux entreprises de migrer vers un PC équipé de Windows 11 et d’une puce NPU ».
Certes, ces évolutions ont un coût, néanmoins les nouvelles générations de serveurs et d’outils sont beaucoup moins énergivores. « Ils permettent en effet d’effectuer des requêtes en IA, ce qui est moins onéreux que de passer par le Cloud », poursuit Théodore Blanc. « Les nouvelles générations de serveurs consomment jusqu’à 41 % en moins d’électricité que les anciens serveurs », précise Mohamed Belhadji.
« Il est d’ailleurs à ce sujet conseillé de préférer, quand c’est possible, aux outils généralistes comme ChatGPT, des plus petits outils ou ceux basés sur l’Open Source, moins consommateurs d’énergie et moins énergivores », souligne Luc Marta de Andrade, président de U-Need Consulting et de NXU Think Tank, co-président de la commission numérique et innovation du Medef 31. Ils sont entraînés à partir de données propres que l’on peut implémenter, pour des sujets critiques, sur des Cloud souverains ».
Mesurer les risques et se mettre en conformité
Le recours à l’IA suppose enfin d’en mesurer les risques. L’utilisation de services en lignes américains, comme par exemple ChatGPT, comporte un risque de sortie des données de l’entreprise. Pour l’éviter, il est préférable d’informer les collaborateurs sur ce risque et de privilégier des solutions technologiques sécurisées ou encore des solutions Open Source comme Mistral, infogérées en interne, sur un serveur. Il convient également de veiller aux accès des collaborateurs aux IA de l’entreprise.
Par ailleurs, il est également indispensable de prendre en compte les exigences réglementaires et notamment celles de l’AI Act. Adopté par l’Union Européenne le 31 mai 2024, ce règlement européen vise à réguler l’utilisation de l’IA pour garantir qu’elle soit éthique, sûre et respectueuse des droits fondamentaux. Il encadre de manière éthique et responsable le développement et l’utilisation de l’intelligence artificielle, tout en renforçant la compétitivité de l’UE dans ce domaine.
Une approche dite « par les risques » est utilisée pour cette réglementation : risque inacceptable, risque élevé, transparence, risque minimal ou nul. Il ne s’agit donc pas de classer les intelligences artificielles qui seront autorisées et celles qui seront interdites en fonction de la technologie sous-jacente, mais en fonction de l’usage prévu de la technologie.
Selon Christophe Saint-Pierre, président de MDP Data Protection et vice-président du cluster Digital113, « l’AI Act est une formidable opportunité de préserver sa réputation, ses relations et les liens de confiance avec ses clients et ses fournisseurs, et donc la pérennité de son entreprise. Il ne s’agit pas de prendre une amende, mais bien de considérer l’IA éthique comme un levier de compétitivité qui permet aux entreprises européennes de se démarquer de leurs concurrentes américaines et chinoises par la qualité, la transparence et la fiabilité des solutions ».
Toutes les organisations, qu’elles soient grandes ou petites, qui utilisent ou développent des systèmes d’IA en Europe, doivent ainsi se mettre en conformité à l’AI Act. À cet effet, elles doivent sensibiliser et former les équipes à la nouvelle règlementation et aux nouveaux principes, désigner un pilote en charge de mener les travaux, cartographier l’existant soumis à la nouvelle règlementation, processer les obligations de la nouvelle
règlementation et appliquer les principes de fond.
Enfin, le recours aux technologies d’IA ne saurait tenir ses promesses si les utilisateurs ne se les approprient pas. Selon Gartner, 85 % des entreprises échouent sur un projet IA en raison d’une résistance au changement ou de l’incompréhension des utilisateurs sur l’utilité du changement.
Pour éviter cet écueil et tirer toute la quintessence de l’IA, il est donc indispensable, une fois les technologies en place, d’accompagner le changement et de former les utilisateurs sur ces technologies. Des formations qui concernent aussi bien les équipes techniques en charge de la mise en oeuvre du projet ainsi que de l’administration et de l’évolution des outils, que les équipes métiers, utilisateurs finaux des technologies déployées.