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Comment protéger et valoriser le capital immatériel et numérique d’une entreprise ?

Comment protéger et valoriser le capital immatériel et numérique d’une entreprise ?

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C’est un véritable paradoxe : alors que la transformation numérique entraîne les entreprises sur la voie du développement de leur capital immatériel, celui-ci est encore peu souvent pris en compte dans le haut de bilan. Parmi les raisons, une approche encore trop « industrielle » de la valorisation de l’entreprise, dans laquelle les actifs matériels restent privilégiés par les normes comptables. Mais dans ce domaine là aussi, l’économie numérique a bouleversé la donne, mettant en évidence l’écart grandissant entre la valeur comptable d’une entreprise et sa valorisation réelle. Le capital immatériel de l’entreprise, dans lequel entrent toutes les créations numériques, n’est pas toujours simple à cerner, mais il existe aujourd’hui des solutions pour le protéger et le valoriser.

Aujourd’hui, une partie de ce capital immatériel peut déjà être protégé auprès de l’INPI, l’Institut National de la Propriété Intellectuelle. L’entreprise peut y déposer brevets, marques, dessins et modèles dans les pays choisis, et ainsi se protéger des contrefaçons. Cette protection permet également de valoriser ces actifs immatériels. Si les dirigeants connaissent bien ces aspects de la protection intellectuelle de l’entreprise, ils n’abordent pas de la même manière la question de la gestion de leur « capital numérique ». Logiciels, applications, bases de données, sites web, algorithmes sont aussi des actifs immatériels dès lors qu’ils ont été conçus en interne ou que l’entreprise en a acquis les droits auprès d’un prestataire.


Des outils pour aider les entreprises à identifier leurs ressources immatérielles

Conscients du retard de l’économie française en matière de valorisation des actifs immatériels, les pouvoirs publics ont lancé plusieurs initiatives. En 2006, le « rapport sur l’économie de l’immatériel », réalisé par la commission présidée par Maurice Lévy, qui présidait alors le groupe Publicis, a dressé un état des lieux en France et proposé quelques pistes de réflexion. « L’économie a changé mais la France n’en tire pas toutes les conséquences : l’immatériel est aujourd’hui le facteur clé de succès des économies développées », estiment les auteurs du rapport. Exemple à l’appui, le rapport rappelait que les coûts de production, au sens strict, des chaussures Nike ne représentent que 4 % du prix de vente total, le reste représentant la rémunération d’actifs immatériels tels que la marque, la recherche, les brevets et le savoir-faire de l’entreprise. Ce n’est donc plus la production qui crée l’essentiel de la valeur, mais bien les ressources immatérielles. Des ressources que les entreprises, notamment les PME et ETI, ont encore des difficultés à identifier, à quantifier et donc à valoriser. C’est d’ailleurs pour les aider à les identifier que la Direction Générale des Entreprises du Ministère de l’Economie vient de mettre en ligne le site internet cap-immateriel.fr, en partenariat avec l’Observatoire de l’immatériel et Atemis. Cet outil pédagogique facilite la compréhension du caractère stratégique des ressources immatérielles et fournit aux entreprises une méthodologie d’évaluation qui conduit à identifier les conditions de leur activation et leur développement. Par ailleurs, un guide pédagogique à destination des entreprises, réalisé par l’Autorité des Normes Comptables (ANC) et la Direction générale des entreprises a été publié : il illustre les règles en vigueur qui sous-tendent la comptabilisation des dépenses immatérielles au travers d’exemples concrets d’entreprises de secteurs et de tailles différents.

Droit d’auteur pour le numérique

Mais à la différence de l’innovation technologique qui s’inscrit dans le droit de la propriété intellectuelle, la création numérique relève du droit d’auteur. Un développeur informatique est ainsi assimilé à un écrivain ou à un musicien dont les créations artistiques sont protégées par le droit d’auteur dans le cadre de la convention de Berne. Dans ce cas, c’est le fait même de créer qui crée un droit sur l’œuvre. Ainsi le code source d’un logiciel est une œuvre de l’esprit protégé par le droit d’auteur : c’est la raison pour laquelle il n’est pas possible, en principe, de déposer un brevet sur un logiciel. Mais la règle ne s’applique pas pour un stagiaire ou encore un prestataire externe avec lesquels il convient de prévoir un contrat de cession des droits d’auteur. À ces précautions internes à mettre en place pour protéger les créations numériques de l’entreprise, s’ajoutent des mesures de protection externes. D’autant que les créations numériques sont bien plus nombreuses qu’on ne le pense généralement : des logiciels et des codes source bien entendu, mais aussi des applications, des sites web, des bases de données ou encore les algorithmes de gestion d’un process de fabrication ou d’une supply chain, par exemple.

Un dépôt pour protéger et valoriser

Comment se protéger et faire valoir un préjudice devant les tribunaux face à un concurrent qui utilise abusivement votre base de données ou qui a copié un logiciel utilisé et mis au point par votre entreprise ? « Il faut pour cela apporter la preuve, en la datant, que l’entreprise est bien à l’origine de la création numérique utilisée sans autorisation par un concurrent », précise Fabienne Saugier, secrétaire générale de l’APP, l’Agence pour la Protection des Programmes. Cet organisme de référence en Europe en matière de protection de l’innovation numérique accompagne les éditeurs, les auteurs de logiciels et plus généralement tous types d’entreprise dans la protection de leurs droits d’auteurs et la gestion de leur portefeuille d’innovation numérique. L’APP a également une mission de diffusion et d’information des bonnes pratiques sur la protection de l’innovation numérique, à travers son site Internet notamment. Toute entreprise peut y déposer ses créations numériques, les gérer en faisant évoluer les versions successives notamment, et faire valoir ce dépôt en cas de conflit. Autre intérêt, en faisant l’inventaire de son patrimoine numérique et en déposant les innovations, l’entreprise valorise son patrimoine immatériel. Concrètement, il est par exemple possible de consigner toutes les dépenses engagées pour la constitution d’une base de données afin d’établir un préjudice ou encore d’établir une valorisation de cet actif immatériel. Plus généralement, la liste des actifs immatériels à valoriser et à protéger s’est encore allongée avec la directive sur le secret des affaires de 2018. Désormais, un plan stratégique à trois ans, un projet de lancement d’un nouveau produit, la mise au point d’un process particulier peuvent aussi être protégés, et donc valorisés par la même occasion. Dans des entreprises toujours plus numériques, le capital immatériel n’en a pas fini de grandir.

Lu 5686 fois Dernière modification le lundi, 15 octobre 2018 13:11
Laurent Locurcio

Journaliste économique, il a notamment collaboré avec la presse spécialisée dont La Tribune, Le Point, Le Monde, LSA, Sport Eco, et bien entendu GPO Magazine. Il a également participé au lancement de titres de presse et a été rédacteur en chef  d’un important magazine d’entreprise. Auteur également de livres d’entreprises, il intervient aussi auprès d’étudiants en formation multi-médias.