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Le Conseil constitutionnel censure le texte du Code pénal incriminant le harcèlement sexuel (Décision n°2012-240 du 4 mai 2012)

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Le Conseil constitutionnel vient de déclarer contraire à la constitution le texte d’incrimination du harcèlement sexuel prévu à l’article 222-33 du Code pénal, considérant que les éléments constitutifs de cette infraction n’étaient pas suffisamment définis. Les Sages de la rue de Montpensier ont donc abrogé cette disposition laissant au législateur la responsabilité de rédiger un nouveau texte d’incrimination aux contours moins flous.

 

La censure du Conseil Constitutionnel

 

Il faut rappeler que le délit de harcèlement sexuel avait fait l’objet, ces dernières années, de plusieurs modifications législatives. Ainsi, lors de la publication du nouveau code pénal en 1992, le harcèlement sexuel était défini comme « le fait d'harceler autrui en usant d'ordres, de menaces ou de contraintes, dans le but d'obtenir des faveurs de nature sexuelle, par une personne abusant de l'autorité que lui confèrent ses fonctions ». Puis, la loi n° 98-468 du 17 juin 1998 avait ajouté « les pressions graves » à la liste des moyens du harcèlement. Le délit de harcèlement sexuel avait, par la suite, entièrement été redéfini par la loi n° 2002-73 du 17 janvier 2002 laquelle avait notamment supprimé l’énumération des moyens du harcèlement, pour disposer que le harcèlement sexuel était « le fait de harceler autrui dans le but d'obtenir des faveurs de nature sexuelle ». C’est cette dernière version qui a été censurée le 4 mai dernier par le Conseil Constitutionnel.

 

Celui-ci a considéré que l’article 222-33 du Code pénal, tel qu’il était actuellement rédigé, était contraire au principe de légalité des délits et des peines ainsi qu’à l’article 34 de la Constitution qui impose au législateur de définir les crimes et délits en termes suffisamment clairs et précis. Le Conseil constitutionnel a donc censuré ce texte aux motifs qu’il se contentait de considérer comme harcèlement sexuel le fait de harceler autrui dans le but d’obtenir des faveurs de nature sexuelle, sans pour autant définir les agissements constitutifs harcèlement, de sorte que la définition de ce délit n’était pas suffisamment précisée.

  

Le sort des procédures en cours

 

Cette censure, opérée par la Conseil Constitutionnel, a eu pour effet l’abrogation immédiate du texte d’incrimination du délit de harcèlement sexuel, ce qui risque de créer un bouleversement sur les procédures en cours puisque les personnes poursuivies ne pourront plus être condamnées sur le fondement de ce texte.

 

Afin de définir le sort à réserver à l’ensemble de ces procédures, la Chancellerie a adressé aux Parquets le 10 mai 2012 une circulaire dans lequel elle leur indique la marche à suivre. Ainsi, lorsque cela sera encore possible, il appartiendra aux magistrats d'examiner si les faits initialement qualifiés de harcèlement sexuel peuvent être poursuivis sous d'autres qualifications, notamment violences volontaires, le cas échéant avec préméditation, agressions sexuelles voire harcèlement moral si les faits sont intervenus dans le cadre de relations professionnelles.

 

Le Code du travail pourrait également être utilisé comme palliatif puisque le harcèlement sexuel y est également pénalement réprimé (article L1153-1 du Code du travail) n’a pas, au contraire du délit prévu par le Code pénal, été censuré aux termes de la Décision du 4 mai dernier. Cela étant, on peut douter de la pérennité de ce dernier texte, lequel est rédigé dans des termes aussi flous que celui du Code pénal et qui risque donc, à l’occasion d’une prochaine question prioritaire de constitutionnalité, de connaître le même sort que le délit prévu à l’article 222-33 du Code pénal. C’est la raison pour laquelle la Chancellerie a donné pour directive de « privilégier les poursuites sous d’autres qualifications ».

 

L’abrogation immédiate de l’article 222-33 du Code pénal par le Conseil Constitutionnel est donc lourde de conséquences et l’on peut s’interroger sur les raisons qui ont mené le Conseil à ne pas fixer un délai avant l’abrogation de cette disposition, le temps pour le législateur de présenter un nouveau texte d’incrimination.

 

Quelles conséquences sur le délit de harcèlement moral ?

 

A la lecture de la Décision du Conseil constitutionnel, on peut également s’interroger sur le sort du délit de harcèlement moral, lequel avait été créé par la même loi du 17 janvier 2002 et qui pourrait également se voir reproché son imprécision.

 

Le 10 mai dernier, le Tribunal correctionnel d’Epinal a d’ailleurs accepté de transmettre à la Cour de cassation une question prioritaire de constitutionnalité relative à l’imprécision de la définition du harcèlement

 

Il semble cependant que le raisonnement adopté par le Conseil ne puisse ici s’appliquer, d’une part car le délit de harcèlement moral est défini avec davantage de précisions et de clarté que le délit de harcèlement sexuel – le texte de l’article 222-33-1 du Code pénal faisant explicitement référence, s’agissant des moyens du harcèlement, à des agissements répétés et l’objet et les effets de ces agissements étant également bien précisés – et d’autre part car contrairement au délit de harcèlement sexuel, les dispositions législatives relatives au harcèlement moral avaient, à l’époque du vote de la loi, été soumises au contrôle du Conseil constitutionnel lequel les avait validées (Décision n°2001-455 du 12 février 2002). Or, une des conditions préalables à la recevabilité d’une question prioritaire de constitutionnalité est que « la disposition dont la constitutionnalité est contestée n’a pas déjà été déclarée conforme à la Constitution dans les motifs et le dispositif d’une décision du Conseil constitutionnel, sauf changement des circonstances ».

 

Dans un arrêt en date du 7 juin 2011, la Cour de cassation avait d’ailleurs déjà rejeté une question prioritaire de constitutionnalité relative à l’absence de précision des éléments constitutifs du harcèlement moral (notamment les agissements répréhensibles et les droits auxquels le prévenu est susceptible de porter  atteinte) considérant que cette disposition avait « déjà été déclarée conforme à la Constitution dans sa décision n°2001-455 du 12 février 2002 » (Crim. 7 juin 2011,  n°11-90.041).

 

Dans le dossier d’Epinal, la Cour a désormais trois mois pour se prononcer et éventuellement transmettre la question prioritaire de constitutionnalité au Conseil Constitutionnel.

 

 

Juliette LEVY-BISSONNET Avocat et Claudia CHEMARIN Avocat associé

DS AVOCATS

Lu 2986 fois Dernière modification le vendredi, 25 septembre 2015 06:34
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